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Oudayas : scandale à la «Tour des pirates»
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 30 - 08 - 2005

La «Tour des pirates», enceinte historique donnant sur l'estuaire du Bouregreg, est au cœur d'un grand litige immobilier. Mahjoubi Aherdan, accusé par ses voisins de s'être approprié un édifice public, s'en défend.
Accès interdit à la légendaire «Tour des pirates», surplombant le quartier légendaire des Oudayas, et offrant, du côté de l'Océan, un beau panorama sur l'estuaire du Bouregreg. Cette enceinte publique, qui fut construite sous les Almohades au XVIIème siècle, serait devenue la chasse gardée d'un particulier, qui n'est autre que le secrétaire général du Mouvement national populaire (MNP), Mahjoubi Aherdan. «Aherdan peut faire ce qu'il veut», se plaint une voisine de l'édifice controversé, visiblement alarmée à l'idée qu'un chef-d'œuvre historique national soit transformé en propriété privée.
Plus alarmant encore, l'édifice, situé à l'intersection de deux rues, en l'occurrence «Bazou» et «Lâalami» (ex-rue des pirates), serait dénaturé par les travaux de construction se déroulant, paraît-il, dans la discrétion totale. Sur place, on constate que l'entrée à cette enceinte a été complètement condamnée, sachant bien qu'une muraille blanche venait bloquer l'accès au fond de la rue «Bazou». «A l'intérieur de l'enceinte, explique une voisine de M. Aherdan, les travaux de construction se sont arrêtés après l'intervention en mai dernier des autorités de la Wilaya de Rabat, mais depuis 15 jours, ces travaux ont repris de plus belle ».
Contacté par «ALM», Mahjoubi Aherdan s'est pour sa part estimé en droit de procéder à de tels travaux. «Après tout, c'est à la justice que revient de trancher cette affaire», précise-t-il, en ajoutant qu'il a tous les justificatifs attestant de la légitimité de ces travaux : titre de propriété, permis de construire… Reste à savoir si la construction en cours se fait dans le respect du cadre historique dans lequel elle se déroule. Sur ce point, M. Aherdan est affirmatif. Et puis, poursuit-il, «si tel n'est pas le cas, c'est à la commission technique du Conseil municipal des Oudayas qu'il appartient de vérifier».
Seulement voilà, l'affaire ne devrait pas concerner que le conseil municipal, la Direction du patrimoine, relevant du ministère de la Culture, est également concernée. Le responsable de cette Direction est resté hier injoignable pendant toute la matinée. Mais passons… Elevée sur un lieu historique, en l'occurrence la légendaire «Tour des pirates», dont l'accès a été bloqué, au niveau de la rue Lâalami, par des grilles, et du côté de la rue «Bazou», par une muraille peinte à la chaux, la maison contestée de M. Aherdan poserait plus d'un problème. Si cet édifice empiète sur la plate-bande du domaine public, en annexant les bouts de deux rues historiques, il s'improvise au milieu d'une plate-forme dont la valeur historique est inestimable.
On ne sait pas si le titre de propriété que M. Aherdan dit avoir acquis auprès du domaine public lui donne également le droit de s'approprier les remparts et autres portes historiques se trouvant au milieu de l'ancienne «Tour des pirates». Le jardin vierge, qui donnait à l'enceinte un charme particulier, n'est de surcroît qu'un vieux souvenir. Il suffit de monter sur le toit d'une maison voisine pour se rendre compte que la végétation exubérante qui poussait au milieu de l'enceinte s'était effacée au profit du ciment. Exceptée la baraque en bois, qui servirait de maison pour la famille du gardien de l'édifice, rien n'aurait échappé à la loi inclémente de la bétonneuse.
Sur le rempart ocre de l'enceinte, avait été montée une cheminée qui ne correspond pas aux caractéristiques de l'architecture originelle. «Il ne fait aucun doute que cette cheminée, connivente du rempart historique, porte préjudice à une part vivante de notre patrimoine historique», s'indigne un riverain. Même son de cloche chez un autre riverain, qui constate, médusé, que les maçons avaient déjà érigé une chambre en béton sur le dos du rempart fermant ainsi les lucarnes qui offraient, de l'intérieur de l'enceinte, une belle vue panoramique sur le Bouregreg. M. Aherdan ne l'entend pas de cette oreille, «je suis chez moi», dit-il. Pour lui, cette affaire n'est que pur tapage, pire encore, le fruit d'un «complot» monté par des « jaloux ». Et de s'interroger «pourquoi moi spécialement ?», sachant ajoute-t-il, que les infractions immobilières dans le quartier des Oudayas sont légion.
En effet, ce quartier, baptisé du nom des descendants d'une tribu arabe venue en Afrique du Nord au début du XIIIème siècle, est en proie à une grande anarchie. Bâti sur une haute colline, ce quartier a beaucoup perdu de sa valeur historique. Si le règlement stipule que les maisons ne doivent pas dépasser 4,50 mètres de hauteur, des habitants, avec la complicité de certains agents d'autorité, ont «réussi», sinon à transgresser, du moins à contourner ce règlement, en surpassant la hauteur prescrite. «A chaque fois, on voit monter un étage. Cela pose un problème non seulement pour la sécurité des habitants, mais aussi pour les visiteurs, nationaux et étrangers compris, obligés d'aller jusqu'à la plate-forme de la sémaphore pour pourvoir admirer l'océan Atlantique. Autre preuve d'un comportement méprisant-méprisable de la valeur historique des Oudayas, les matériaux utilisés pour la «restauration» des remparts de ce site ne cadrent point avec leur structure originelle. Pas un hasard si les brèches ouvertes sur ces remparts se voient colmater avec du ciment (!), alors que les matériaux utilisés dans les travaux de restauration doivent être la terre ocre, la chaux et la paille.
Et ce n'est pas fini… Au milieu de ces remparts, on laisse également pousser, entre autres plantes, des figuiers, ce qui risque de les entamer sérieusement. Autre argument de l'incurie à laquelle s'expose ce quartier historique, la construction, au-dessus des toits, de baraques de fortune transformées en lieu d'élevage des espèces caprines (chèvres), surmontée de toits en zinc. Résultat ? Le quartier des Oudayas non seulement a perdu sa beauté d'antan, il y va également et dangereusement de l'histoire et de la mémoire de la capitale du Royaume. Le danger qui guette, aujourd'hui plus que tout autre temps, le patrimoine de cette ville est nourri par le silence complice des autorités.
Le silence, si ce n'est carrément le laxisme des autorités, ne peut d'ailleurs qu'encourager la spéculation sur un patrimoine qui regorge de plusieurs bijoux historiques : une tour circulaire du XVIIIème siècle et la sqala, fortin aménagé en 1776 qui défendaient l'estuaire du Bouregreg, l'entrepôt construit à la fin du XVIIIème siècle qui abrite une école de tapis, la Jama el Atiqa, dont le minaret est orné d'arcatures, probablement l'œuvre de l'un des premiers souverains alaouites ; le café maure, percé sur les parties hautes de la kasba, sur l'enceinte almohade qui borde la petite anse vers la mer et sur Salé…
Faute de fermeté des autorités, nombre de ces chefs-d'oeuvre architecturaux et historiques risquent aujourd'hui de livrer leur âme.


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