Les intégristes font une confusion scandaleuse entre les festivals et la débauche. Mohamed Achaâri, ministre de la Culture, tout en mettant en garde contre le risque de tomber dans ce piège, met la sortie médiatique du MUR sur le compte de calculs idéologiques et politiciens. ALM : Le Mouvement Union et Réforme vient de publier un communiqué dans lequel il considère les festivals comme un vecteur de débauche. Quelle analyse en faites-vous ? Mohamed Achaâri : D'abord, il y a bien sûr cette violence verbale contre les festivals qui restent des manifestations culturelles de premier ordre. Et cette violence verbale est d'autant plus dangereuse qu'elle peut devenir purement et simplement un appel à la liquidation d'une expression culturelle et pourquoi pas de ses initiateurs. Il est à rappeler que cette violence verbale n'est pas une nouveauté dans les discours intégristes. Dès les premiers festivals destinés à la valorisation de notre culture populaire et à l'animation de nos espaces urbains, des voix extrémistes se sont élevées pour déclarer que c'est tout simplement des dépenses inadmissibles de l'argent public et que ce sont là des vecteurs de débauche dangereux pour la jeunesse. Le communiqué est scandaleux dans la mesure où il fait l'amalgame entre la débauche et les festivals, entre l'action des autorités locales de certaines villes contre des formes de délinquance et l'organisation de manifestations culturelles, comme il fait l'amalgame entre le fait de dépenser de l'argent dans des festivals, ce qui est une nécessité vitale, et les carences dans le domaine social, comme si l'un empêchait l'autre. En définitive, ce que nous constatons dans ce communiqué, c'est essentiellement deux choses : premièrement, c'est la mentalité rétrograde de ses auteurs qui considèrent la musique, la danse, le théâtre, le cinéma, c'est-à-dire toutes les expressions artistiques comme une simple dégradation morale. Deuxièmement, l'appel clair et alarmant pour qu'on arrête purement et simplement les festivals. Il ne faut absolument pas tomber dans le piège de cet amalgame, l'expression artistique n'est pas une débauche et les festivals ne sont pas son vecteur. Derrière cette attaque intégriste, n'y aurait-il pas aussi et surtout des calculs politiciens ? Il y a certainement un souci politique derrière cette manœuvre. Mais je suis convaincu qu'il y a là aussi un signe de nervosité pour la simple raison que les jeunes et les populations en général ne sont pas du tout acquis à cette vision des choses. Sur ce point justement, le MUR évoque le mot « mécontentement» au sein des citoyens quant à une dérive présumée des festivals ? Cette thèse ne contredirait-elle pas les faits ? Les gens viennent très nombreux dans les festivals, ils considèrent que c'est une façon pour eux de se réapproprier l'espace public et que c'est pour eux une expression de mâturité politique et sociale, ce qui veut dire que le citoyen marocain adhère parfaitement à ce choix. Les obscurantistes n'ont pas compris que lorsque les jeunes viennent dans les festivals, c'est pour la musique, la fête, l'art et que, en général, c'est souvent une jeunesse saine et équilibrée. Cette idée d'associer nos citoyens, lorsqu'ils sont dans une fête, à un esprit de débauche reflète l'état d'esprit dans lequel se trouvent ces obscurantistes. En attaquant les festivals, entre autres expressions culturelles, les intégristes n'apportent pas d'alternative, en ont-ils d'ailleurs? Je ne crois pas, on le voit dès maintenant, voilà ce qu'ils nous proposent pour l'avenir. S'ils sont aux affaires, ils vont essayer de réduire le pays au silence. Au-delà de l'animation de la vie publique, les festivals ont prouvé qu'ils ont un rôle à jouer dans le développement économique du pays. Ses détracteurs sont-ils inconscients à ce point ? Ce n'est pas un manque de discernement qui pousse ces gens à attaquer les festivals, ils savent très bien que c'est un vecteur de développement local. Leurs élus essayent de créer des festivals même s'ils manquent d'imagination, l'un d'eux a même participé à une manifestation de Miss quelque chose, mais c'est par conviction idéologique et par calcul politique. C'est pour cela que je suis scandalisé. Je comprendrais bien que quelqu'un critique le contenu des festivals, les programmations, les choix artistiques et même les modes de gestion et de financement, c'est tout à fait normal. Mais réduire toute une action culturelle à une « affaire morale », c'est un jeu dangereux et irresponsable.