Quelle évaluation pour la réforme universitaire initiée en 2003 ? Le nouveau livre «Hypothèque sur l'université marocaine», de son auteur Mustapha Bencheikh, répond à cette question majeure qui s'en dégage après lecture. En s'appuyant sur les «grands textes de lois relatifs à notre université» et à la pratique, l'écrivain décrypte les écueils de cette réforme ainsi que les maux de notre université. A commencer par le financement de l'enseignement supérieur. Pour une politique de recouvrement «S'il faut financer l'enseignement supérieur, les voies ne sont pas en nombre indéfini et dans tous les cas une politique de recouvrement des coûts devra tenir compte de la situation sociale des étudiants, particulièrement lorsqu'il s'agira des établissements à accès libre», estime d'emblée l'essayiste, également professeur universitaire de littérature française et comparée. Pour lui, l'investissement le plus sûr est plutôt la compétence et la qualité des enseignants. «Les réformes passeront ou ne passeront pas sans que de véritables garanties d'emplois ne soient assurées», avance-t-il entre-temps. Et ce n'est pas tout ! L'auteur ne manque pas de mettre l'accent sur l'expression «mettre l'université à l'écoute de son environnement social et économique». «Cela veut dire dans l'esprit des décideurs que l'université s'était coupée de ses racines sociales et qu'enfermée dans des disciplines traditionnelles, elle n'avait pas vu venir les changements dans la société et n'avait pas su répondre aux nouvelles attentes sociales et économiques», explicite le Pr qui propose une solution dans ce sens. Création de licences appliquées et professionnelles Avant de formuler cette suggestion, l'auteur pose une autre question. «Est-il d'abord possible de se passer des trois grands champs disciplinaires (droit, lettres, sciences) que l'on retrouve dans tous les pays ?». Et d'y répondre: «On veut donc deux choses essentielles. Une meilleure ventilation des étudiants sur ces disciplines et la création parallèle à des licences dites fondamentales, de licences appliquées et professionnelles plus résolument tournées vers des métiers cibles». Le tout sans manquer de s'exprimer sur la recherche. «Il convient de reconnaître que nos professeurs font de la recherche de sous», avance M. Bencheikh. Pour lui, c'est la réforme qui a ouvert une boîte de Pandore. « Pour la première fois, la participation à un recrutement, un jury de thèse, à l'élaboration d'un master et d'une filière est rémunérée », raconte-t-il. Ainsi, l'argent est, comme il l'écrit, devenu «un appât sur toile de fond pédagogique, scientifique et académique». «L'introduction de l'argent à l'université a induit des rapports faussés où la courtisanerie a remplacé l'esprit critique et la résistance à la facilité», poursuit-il en établissant une comparaison entre les disciplines. Sciences versus droit, langues et sciences humaines A ce propos, l'auteur rappelle que le pays, en voulant légitimement développer les sciences, n'a pas su préserver longtemps son capital intellectuel humaniste. «Progressivement, le droit, les langues, les sciences humaines de manière générale, sont apparus moins utiles et ont été confinés dans un espace strictement théorique et sans rentabilité immédiate », ajoute-t-il. Comme il l'explicite, on continue encore à compter sur le bout des doigts les élèves des filières scientifiques « alors même que le nombre d'élèves dans les filières littéraires ne semble pas reculer». «Mais pourquoi les lettres seraient-elles devenues le paria de l'éducation», s'interroge l'auteur dans un chapitre consacré à l'orientation. Dans ce sens, il ressort l'argument avancé par plusieurs qui estiment que notre société a besoin de métiers précis et non de doux rêveurs. «Et si le chômage des jeunes n'était pas dû uniquement à une question de formation mais plus à un marché du travail confiné (...) Faut-il rappeler la situation précaire de la majorité des étudiants des établissements à accès libre, y compris les établissements scientifiques ?», pense-t-il. C'est pourquoi il trouve que l'orientation n'est pas seule capable de résoudre le problème de l'emploi. «Il faut probablement chercher la réponse davantage dans la qualité de nos enseignements en misant sur une formation sans failles des maîtres, des professeurs et des universitaires», tranche-t-il dans son livre qui aborde plusieurs questions.