À son trente-troisième printemps, Chakib, père de famille, directeur d'une petite entreprise et licencié en études islamiques, risque la prison pour avoir usurpé l'identité d'un médecin. Bien que Chakib n'ait jamais prêté serment d'Hippocrate, il s'est présenté à Fatima comme médecin. C'est en 2004 qu'il l'a croisée à la gare routière de Marrakech. Il attendait l'autocar arrivant de Casablanca, qui lui transportait un lot de marchandises. Alors que Fatima cherchait l'autocar qui se rendra à El Jadida. Un voyageur lui a précisé que ce dernier ne sera disponible que le lendemain matin. Chakib est intervenu aussitôt lui proposant de passer la nuit chez lui. «Tu sera avec ma femme et ma petite fille», lui a-t-il précisé pour la rassurer. Avec une grande politesse, elle a refusé en lui expliquant qu'elle préfère passer la nuit à l'hôtel. Avant de se séparer, ils se sont échangés les numéros de téléphones portables. Et pourtant personne parmi eux n'a téléphoné à l'autre durant une année. Lundi 13 juin, Chakib est arrivé à El Jadida. Il a pensé contacter Fatima. «Allo, je suis le Dr Chakib, tu te souviens de moi?», lui a-t-il lancé. Pleine de joie, Fatima s'est excusée de ne pas l'avoir appelé pour le remercier de sa gentillesse et de son comportement de gentleman envers elle lorsqu'il l'a croisée à la gare routière. «J'étais vraiment très absorbé par le travail à l'hôpital et à la clinique. Je ne trouvais même pas le temps de me gratter la tête…Mais voilà je suis maintenant à El Jadida», lui a-t-il répondu. Fatima l'a sommé de l'attendre à la gare routière. Pas moins de quelques minutes, elle est descendue, en compagnie de son mari, d'un petit taxi. Habillé d'un costume gris, une chemise blanche et une cravate noire ornée de points blancs, Chakib tenait une mallette neuve. Il les a accompagnés chez eux. Ils l'ont chaleureusement accueilli. Après le dîner, ils lui ont préparé un lit dans une chambre au premier étage. Alors que l'époux de Fatima a occupé un divan à la même chambre. La première nuit passée avec eux, Chakib a décidé d'y rester jusqu'au lendemain. Vers 3h du matin du mercredi 15 juin, il a été réveillé par une voix : «Docteur, docteur, réveilles-toi docteur…». Quand il a ouvert ses yeux, l'époux de Fatima se tenait devant lui. Il lui a expliqué que sa fille enceinte souffre des douleurs insupportables. Chakib a composé le numéro 15 de son téléphone portable. Une ambulance est arrivée quelques minutes plus tard. La fille de Fatima est évacuée vers les urgences de l'hôpital Mohammed V. Avant d'y accéder, Chakib a mis une blouse blanche portant le signe du ministère de la Santé et un badge sur lequel se collait sa photo d'identité. «Je suis un neurologue au centre hospitalier à Marrakech», s'est-il présenté à un médecin qui assurait la permanence. Sans perdre une seconde, ce dernier a examiné la patiente avant d'expliquer à Chakib qu'elle a eu une hémorragie vaginale et qu'il l'a confiée au gynécologue. Ce dernier l'a avortée normalement avant de lui effectuer une simple opération chirurgicale. Le lendemain, Chakib est retourné à l'hôpital pour rencontrer le médecin qui a veillé sur la fille de Fatima. Il a même déjeuné avec lui dans un restaurant de la ville. En se séparant, ils ont fixé un rendez-vous pour le lendemain. Vendredi 17 juin. Le Dr Ahmed qui était en compagnie du Dr Mahdi a rencontré Chakib et l'a invité chez lui. À l'appartement, ils ont dîné ensemble. Chakib, qui conversait avec les deux médecins sur différents sujets, a fait sortir de sa mallette un CD. Il demande au Dr Ahmed de le mettre au lecteur DVD pour regarder ses photos avec le comédien marrakchi Abdeljebbar Lawzir et ses collègues à l'hôpital de Marrakech. Après quoi, le Dr Ahmed a glissé un CD contenant les étapes d'une opération chirurgicale pour commencer à la discuter. Seulement les deux médecins, Ahmed et Mahdi ont remarqué que Chakib n'a pas prononcé un seul mot. Puis, ils lui ont posé quelques questions sur la neurologie. Soudain, il s'est jeté sur leurs pieds pour les supplier de ne livrer son secret à personne. «Je ne suis pas un médecin.», leur a-t-il confié. Et d'ajouter : «j'ai toujours rêvé et souhaité devenir docteur, de porter la blouse blanche.» Incroyable mais vrai ! Sans hésitation, les deux médecins ont alerté la police. Soumis aux interrogatoires, ce natif de Marrakech a déclaré avoir décroché sa licence en études islamiques à l'université Cadi Ayade et qu'il y poursuit encore ses études de troisième cycle. Fils d'un policier en retraite, il a fondé une petite entreprise qui a pour vocation la commercialisation des équipements sanitaires. Entre temps, il s'est marié, en 2003, avec une institutrice. Mais le rêve d'être un médecin hantait son esprit. Le pauvre imposteur risque gros.