Tajeddine El Houssaini, avocat et professeur des relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat et membre de l'Académie du Royaume du Maroc, estime que Rabat ne doit pas permettre à l'Algérie de créer un déséquilibre des forces dans la région. ALM : Que pensez-vous de la décision de SM le Roi de ne pas se rendre à Tripoli et celle de la Libye de reporter le Sommet de l'UMA ? Tajeddine El Houssaini : Je pense que ces deux décisions sont sages. Comme vous le savez, l'Algérie d'Abdelaziz Bouteflika a voulu profiter du Sommet de Tripoli pour mettre tout le monde devant le fait accompli. La réaction de SM Mohammed VI a été tout à fait convenable et rapide. Aussi, le communiqué du ministère marocain des Affaires étrangères a affirmé que notre pays ne peut pas jouer au jeu algérien. Et pour cause, les déclarations du président Abdelaziz Bouteflika vont à l'encontre des accords convenus entre les deux pays lors de la visite effectuée dernièrement de SM le Roi à Alger. Le Maroc a voulu ouvrir une nouvelle page avec l'Algérie. Mais les déclarations inacceptables, pour ne pas dire insultantes, du président Bouteflika sont venues mettre un terme à ce processus de rapprochement et d'apaisement. Vous parlez de la lettre que Bouteflika a envoyée au Polisarien Mohamed Abdelaziz ? Abdelaziz Bouteflika a commencé par des petites déclarations lors de sa tournée dans les pays d'Amérique latine. Et la cerise sur le gâteau fut cette fameuse lettre qu'il a envoyée au président de la république fantoche la rasd. Avec cette lettre, Abdelaziz Bouteflika est passé outre toute la procédure établie au niveau de l'Organisation des Nations unies. Une procédure qui ne retient que la solution politique concertée avec l'ensemble des parties. Par sa lettre, le président Abdelaziz Bouteflika paraît plus "Rasdien" que les dirigeants de la rasd eux-mêmes. Pensez-vous que le report du Sommet de l'UMA est un point positif pour la diplomatie marocaine ? Il n'y a pas de doute. C'est un point à inscrire dans l'actif du Maroc. Je tiens à préciser que ce report n'altérera en rien les relations excellentes entre Rabat et Tripoli. Je tiens, à cette occasion, à saluer la réaction courageuse du Colonel Maâmar El Kadhafi. Pour ce qui est de la construction maghrébine, l'UMA ne peut jamais voir le jour sans l'implication totale de tous les pays, notamment le Maroc. Notre pays et l'Algérie sont pour l'UMA ce que la France et l'Allemagne étaient pour l'Union européenne à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'Algérie est-elle intéressée par la construction du Maghreb arabe ? C'est une question que je souhaite poser à Abdelaziz Bouteflika. Manifestement, la stratégie d'Alger manque de vision à long terme. J'ai toujours remarqué que l'agressivité d'Alger à l'égard du Maroc augmentait dès que le prix du baril de pétrole grimpait. D'ailleurs, Alger est en train de négocier actuellement un important contrat d'armement avec la Russie, d'un montant de 1,5 milliard de dollars. On est en droit de nous demander contre qui Alger tient-elle à s'armer de cette manière. Selon vous, le Maroc a-t-il eu tort de décréter un certain apaisement à l'égard du régime algérien ? Je pense que le Maroc a eu l'occasion de montrer sa bonne foi à l'opinion publique internationale, maghrébine et surtout algérienne. A ce titre, il faut absolument distinguer entre l'appareil militaire algérien et le peuple algérien. Ce sont deux choses totalement différentes. Le peuple algérien n'a jamais eu de problème avec le Maroc. Je pense que SM le Roi veut à tout prix éviter un affrontement entre les peuples. Ce qui n'est pas le cas du régime algérien. Il ne faut pas insulter l'avenir. Le Maroc doit-il participer, à votre avis, à cette course à l'armement lancée par Alger ? C'est indispensable. Le Maroc est en situation de défense de son intégrité territoriale et de sa stabilité. Puisque l'Algérie a opté pour la course à l'armement, le Maroc ne doit pas lui permettre de créer un déséquilibre des forces dans la région. Ce n'est ni dans l'intérêt du Maroc, ni de l'Algérie. Je vous rappelle que le défunt Souverain Hassan II avait tiré la sonnette d'alarme aux Nations unies, sur le même sujet, à l'époque de Houari Boumediene. Je pense sincèrement que le Maroc ne doit pas permettre un déséquilibre des forces. Car l'histoire nous a montrés qu'à chaque fois, il y avait des guerres meurtrières qui se déclenchaient. Ce qui sera fatal pour les peuples de la région.