Le leader n'est pas celui qui n'est pas inquiet mais c'est celui qui s'interdit de transmettre son stress à ses équipes. Il doit se projeter et calmer même si intérieurement il est très inquiet. Invité par l'Association pour le progrès des dirigeants, Dr Hamid Bouchikhi a livré son point de vue d'expert international sur le leadership en temps de grave crise. Le choix de l'orateur n'est pas fortuit. L'expert international est actuellement doyen de SolBridge International School of Business à Daejeon en Corée du Sud. Il est également membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement. Au-delà, l'intérêt est double quand on sait que la Corée du Sud a bien géré l'épidémie du Covid-19 car ses dirigeants avaient déjà tiré une leçon des crises précédentes. Aujourd'hui, le leader devra se surpasser «Le management ne découvre pas la crise. Ce qui est nouveau pour le monde de l'entreprise, c'est que c'est une rupture catastrophique». L'expert fait bien de rappeler la différence avec les événements catastrophiques qui restaient limités dans un écosystème le temps d'être contenus. «Aujourd'hui, le business s'est arrêté du jour au lendemain et il s'agit d'une crise systémique qui touche toute l'économie». Ceci dit cet état catastrophique généralisé fait que l'ensemble des parties prenantes comprend, ce qui permet des fermetures sans dénonciation. Cela favorise aussi des élans de solidarité et les réseaux sociaux facilitent les connexions… Dr Bouchikhi invitera, sur cette base contextuelle, le manager à d'abord faire face à l'urgence et ensuite à préparer l'entreprise à la prochaine catastrophe. Pour conduire l'entreprise en temps de crise, le leader est attendu dans la réaction. Le professeur en management le rappellera : «Le leader n'est pas celui qui n'est pas inquiet mais c'est celui qui s'interdit de transmettre son stress à ses équipes. Il doit se projeter et calmer même si intérieurement il est très inquiet». C'est de l'empathie qu'il est question ici et l'expert international n'omettra pas de le souligner même si le contexte est très difficile et que certains managers ont même perdu le sommeil car ils n'ont pas de quoi payer leurs collaborateurs… Pour travailler dans un environnement volatil, le manager doit, en effet, faire preuve d'empathie afin d'atteindre les objectifs escomptés. Il devra, également, avoir cette qualité de partage de l'information. L'intervenant citera l'exemple de la Corée du Sud dont les habitants vivent bien cette crise car une transparence exceptionnelle y règne. «Il faut aussi partager les bonnes nouvelles aussi triviales soient-elles car elles sont vecteurs d'ondes positives et permettent aux individus de garder la foi», poursuit l'enseignant-chercheur. Sans transition, l'humilité est un ingrédient à avoir chez un leader. Dr Bouchikhi fera référence au président de la Corée du Sud qui fait preuve d'une sobriété incroyable faisant prévaloir l'efficacité au lieu du faire-valoir. «Les leaders ne doivent pas céder à la tentation de se mettre en scène et se mettre au centre pour montrer leurs actions généreuses ou héroïques. La crise n'est pas là pour servir l'image du leader», conseille le professeur. Ici, c'est la notion de valeur et non de rationalité qui prime. «Il y a des décisions certes à prendre, mais en fin de journée ce sont les valeurs qui sont importantes et qui portent les leaders. La rationalité en temps de crise n'a de réel sens que dans les grandes décisions. Et plus il y a des incertitudes, plus les valeurs sont importantes», poursuit Dr Bouchikhi. Enfin parmi les qualités que devrait avoir le leader en temps de crise, c'est l'espoir. «Un groupe humain a besoin de se projeter dans un monde meilleur. Ce n'est pas la priorité mais ça a tout son sens. Le comportement du leader est très important car il est observé et va déterminer le comportement des équipes plus tard», explique l'expert international. La préparation de l'entreprise à la prochaine catastrophe renvoie aux réserves financières et au plan de continuité de l'entreprise. L'enseignant fait bien de préciser que «dans le management public, s'il existe des points pour gérer les catastrophes, les entreprises n'ont jamais prévu cet aspect». Aujourd'hui, le leader devra constituer une réserve financière pour pouvoir continuer l'activité pendant 6 mois voire un an sans chiffre d'affaires. Les enjeux sont énormes car le manager devra convaincre les actionnaires. Au-delà, l'aspect fiscal et juridique devra être revu. Le plan de continuité de l'activité est aussi un nouvel élément à prendre en compte, désormais, chez le manager. «Si aujourd'hui, il a fallu 3 semaines dans l'école que je dirige pour lancer l'enseignement à distance compte tenu de certaines contraintes techniques, la prochaine crise ne nous prendra pas de temps et ça s'effectuera de manière instantanée», argumente Dr Bouchikhi qui a dû acquérir une bande passante plus puissante pour généraliser l'enseignement à distance, en temps de crise sanitaire. L'exemple parle de lui-même car il s'agit de prendre des décisions d'investissement et ce en temps de crise. A l'échelon planétaire, il s'agira de retenir les leçons de la crise pour prévoir des plans de catastrophe. D'emblée, le visionnaire recommande le management bienveillant. Le paradigme marginal a été stimulé par le Covid-19. C'est bien ainsi que le professeur le décrira car même si le concept existe depuis déjà deux décennies, il n'est pas encore pris au sérieux. Le manager devra en tenir compte. Il devra aussi faire preuve de caractère et c'est ce qui fera la différence entre les leaders. «Dans les grandes entreprises, les grandes pointures devraient être mises à l'épreuve avant de leur confier des postes de responsabilité», conclut l'expert international qui fait référence aux aptitudes militaires… Tout est dit. Le monde change. Le management aussi.