«Version soft» est le titre d'une exposition de photographies qui se poursuit jusqu'au 31 juillet au musée de Marrakech. Son auteur, Hicham Benohoud, y donne à voir des autoportraits où il violente son visage. Et dire que l'expo est intitulée “Version soft” ! Des visages contorsionnés, brutalisés, violentés, ficelés, scotchés, cagoulés, agrafés, pincés, cailloutés. Le même visage. Celui de l'artiste Hicham Benohoud ! Dans tel autoportrait, son visage est entouré de cet épais scotch dont se sert pour emballer des objets dans des cartons. Dans tel autre son visage est parsemé des crampons qui prolongent un verrou. Dans un autre, des pierres ont été maintenues fermement par une ficelle contre le visage. Elles agressent les joues, le front et une paupière. On sent le contact rêche du caillou contre la chair. Les autres autoportraits participent du même esprit. En dépit de cette brutalité apparente, Hicham Benohoud se défend de violenter son corps. « J'ai eu l'idée de mettre des objets sur mon visage et de les prendre en photo. Ce travail, je l'ai effectué avec beaucoup de douceur et une grande délicatesse. Ces deux attributs correspondent mieux à mon caractère ». Il ajoute qu'il n'a pas du tout cherché à choquer le spectateur, mais admet néanmoins qu'il est possible que ses autoportraits dégagent un sens différent de celui qu'il a assigné à son œuvre. Par ailleurs, de nombreux autoportraits de l'artiste se caractérisent par un même cadrage. Rares sont les photos où l'on voit son buste. Le plus clair de ses photographies ont été prises par l'artiste lui-même. Mais il lui arrive, comme il nous l'a confié, de laisser ce soin à des amis. Hicham Benohoud est né en 1968 à Marrakech. Il s'est déjà fait remarquer par un livre de photographies intitulé «La salle de classe». Dans ce livre, Hicham Benohoud, qui est professeur d'arts plastiques, a fait de ses élèves l'objet d'une série de photo où la mise en scène a été privéligiée. Il a utilisé un attirail lourd pour disposer les matériaux. Des fils de fer, ficelles, rubans collants, tissus, cartons, planches constituaient quelques-uns des éléments de son décor. L'étrangeté de la situation tenait souvent au fait que l'élève était photographié dans une position insolite, tandis que ses camarades vaquaient le plus naturellement du monde à leurs occupations. Ils ne regardaient pas la personne photographiée, mais travaillaient. La même étrangeté caractérise son exposition à Marrakech. Il l'a commencé en Belgique, pays où il pensait, dit-il, avoir plus de liberté dans la création. Mais il a dû se rendre compte que les contraintes imposées par les galeries bruxelloises limitent aussi la liberté d'expression. Revenu de la première conception de son projet, il a dû le changer en version soft. On peut à peine imaginer ce qu'aurait été une version hard. Mais on se félicite que les limites dans la liberté de s'exprimer ailleurs lui aient fait prendre le chemin du retour chez lui. Quant à l'autre sens, différent de la douceur proclamée par Hicham Benohoud, et qu'il laisse libre le spectateur de l'appréhender, l'artiste y dérègle l'apparence des choses. Et de ce dérèglement qu'il fait subir à la réalité découle un mode heurtant ou insidieux de décalage. Décalage généré par une contestation, un brouillage, une trituration ou un éclatement de l'apparence physique de l'artiste. Cette représentation de lui-même qu'il nous présente et qui, faite à sa mesure au lieu de nous être offerte comme du prêt à porter, nous attache en ce qu'elle a de singulier en même temps que de tout proche. Puisqu'elle évoque un monde où nous vivons tous, simplement décalé par rapport à nous. Ce qui nous en est proposé étant passé par le cerveau et la main d'un autre, qu'il ait voulu être violent ou faire preuve d'une délicatesse d'écorché.