C'est une expérience singulière. Un professeur d'arts plastiques demande à ses élèves de s'immobiliser, en classe, dans des poses insolites pour se laisser prendre en photo. Le résultat est un beau livre intitulé «La salle de classe». Imaginons un professeur d'arts plastiques qui tout en s'acquittant de ses devoirs se livre à un cérémonial des plus singuliers. La matière qu'il enseigne à ses élèves trouve une extension naturelle pour devenir une œuvre dans une classe. Hicham Benohoud photographie en effet ses élèves en classe. Le résultat de ce travail vient d'être publié dans un livre intitulé « La salle de classe ». Cet espace dénote un désordre très plastique. Plusieurs graffitis y sont en effet charbonnés. Au demeurant, l'intérêt des photographies de Hicham Benohoud ne réside pas dans ce qui fait généralement la valeur d'un bon photographe. Les contrastes entre le clair-obscur, les ombres, les effets de flous sont étrangers à son monde. Ce prof-artiste pratique la photo à la manière d'un plasticien. Il préside en effet à une mise en scène très particulière. Son œuvre photographique est basée sur la scénographie. Il utilise un attirail lourd pour disposer les matériaux qui confèrent à son œuvre son identité unique dans le monde de la photo. Des fils de fer, ficelles, rubans collants, tissus, cartons, planches constituent quelques-uns des éléments de son décor. C'est ainsi qu'une photographie montre deux banderoles tendues d'une façon parallèle et scotchées par les deux bouts. Entre les deux banderoles, un élève se tient debout dans une position guindée. Une autre photo montre un élève debout sur un tabouret entre deux paravents. Telle autre révèle un visage à travers deux ouvertures aménagées dans un carton. L'étrangeté de la situation tient souvent au fait que l'élève est photographié dans une position insolite, tandis que ses camarades vaquent le plus naturellement du monde à leurs occupations. Ils ne regardent pas la personne photographiée, mais travaillent. On peut imaginer que les recommandations du prof ont été strictes pour que ses élèves fassent semblant de travailler, alors que toute leur attention doit porter sur celui ou celle qui pose pour la photo. L'autorité de l'enseignant opère donc sur eux d'une façon conforme à la mission qui lui a été assignée. Mais il use aussi de cette autorité pour rompre la convention qui fonde le rapport d'un élève à son enseignant. Les poses fantaisistes qu'il fait prendre à ses élèves n'ont absolument rien d'académiques. Elles feront hérisser les cheveux des enseignants soucieux de préserver les traditions. Au reste, tout en s'éloignant des composantes qui font la renommée d'un bon photographe, l'œuvre de Hicham Benohoud n'en renvoie pas moins aux temps héroïques de la photographie. Parce que son travail repose sur la pose. « Ce qui fonde la nature de la photographie, c'est la pose. » écrit Roland Barthes dans l'un des plus beaux livres consacrés à cette forme d'art : « La chambre claire ». L'on sait que les premières photos de Niepce demandaient 8 heures de pose. Pour le daguerréotype, par exemple, un quart d'heure de pose au soleil était nécessaire pour que l'image se fixe sur la plaque. Et puis, toute l'ostentation qui a accompagné nombre de photographies pendant la première moitié du siècle précédent. Les photos de nos grands-parents attestent un moment plein de gravité. Ils se photographiaient en étant conscients que c'est à un moment unique qu'ils se livraient. Benohoud agit à contre courant de la débauche qui marque l'usage de la photo aujourd'hui. Il invite ses élèves à un moment exceptionnel de photographie.