La fondation Attijariwafa bank a réuni, jeudi dernier, des intervenants d'une expertise diverse pour rappeler la complexité de la problématique mais aussi les solutions déjà entreprises pour préserver l'enfant de l'abandon scolaire. La pauvreté ne représentant pas l'unique facteur. Le débat se justifie amplement. Les détails. La Fondation Attijariwafa bank a remis sur le tapis jeudi dernier un sujet des plus sensibles aujourd'hui au Maroc, à savoir l'abandon scolaire. «Abandon scolaire: comment stopper le fléau?», c'est la 47ème conférence dans le cycle des éditions de la fondation. Représentant un véritable défi socio-économique puisqu'il touche chaque année des milliers de jeunes, Ismail Douiri, DG du Groupe Attijariwafa bank, a ouvert le débat en rappelant l'importance de l'école : «Le HCP avait, dans son étude sur la mobilité sociale de 2011, estimé qu'une année de scolarité de plus améliorait de 14 % les chances d'ascension de l'enfant, d'une catégorie sociale à une autre. Cela confirme que l'abandon scolaire a des conséquences néfastes, non seulement pour l'individu, mais aussi pour l'ensemble de la société. En effet, tout jeune ayant quitté l'école risque de tomber dans un cercle vicieux qui va le conduire à une situation irréversible, marquée par le retour à l'illettrisme, la marginalisation, la vulnérabilité, la délinquance, voire la violence et le crime». Et c'est la sociologue, Sanaa El Aji, -également journaliste et fondatrice du site d'information Marayana.com- qui a modéré le panel constitué par Youssef Belqasmi, secrétaire général du département de l'éducation nationale au ministère de l'éducation nationale, de la formation professionnelle, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Philippe Maalouf, responsable du secteur de l'éducation pour le Maghreb pour l'Unesco, Rita El Kadiri, directrice générale développement & partenariat de la Fondation Zakoura, Meriem Othmani, présidente et fondatrice de l'association Insaf, et Mounia Benchekroun, présidente de l'association Kane Ya Makane. Tous les intervenants ont été unanimes à dire que la cause de l'abandon scolaire est en majeure partie liée à la pauvreté, l'éloignement géographique des écoles, les inégalités territoriales et régionales et la qualité de l'enseignement. Tous ces paramètres induisent fatalement le recours au travail des enfants, le mariage précoce et le retour à l'illettrisme. Le benchmark des expériences internationales livré par Philippe Maalouf est édifiant : «L'abandon scolaire est un phénomène international. Il ne concerne pas uniquement le Maroc. Pour agir dessus, le processus s'avère très lent parce que le phénomène est très complexe. Connaissez-vous un pays qui ne se réforme pas et qui n'essaie pas de régler ce phénomène? Savez-vous que la Croatie a un taux d'abandon scolaire plus faible que la Suède qui est pourtant réputée pour la qualité de son système scolaire ? À l'Unesco, nous n'utilisons pas le mot «réforme» mais plutôt «ajustement». Un système doit constamment évoluer et s'améliorer. Les processus prennent du temps. Aussi, il ne faut pas oublier que les efforts doivent être mutualisés au niveau de la société entière, la responsabilité n'incombe pas uniquement au ministère de l'éducation». Et c'est dans cette optique que les intervenants ont rappelé les mesures mises en œuvre par le gouvernement mais également par la société civile à travers des programmes de proximité innovants comme le programme Tanouir de l'association Kane Ya Makane; le programme Tayssir mis en place par le ministère de tutelle, le programme d'Insaf pour la réinsertion scolaire des petites bonnes ou encore le programme Aneer en faveur de la petite enfance en zone rurale et l'école numérique initiée par la Fondation Zakoura. Tous ces projets ont un dénominateur commun : la volonté de préserver l'enfant de l'abandon scolaire. Youssef Belqasmi, représentant le ministère en charge de la problématique, insistera aussi sur le fait que «l'abandon scolaire est un phénomène complexe et multidimensionnel. L'étude menée par le ministère pour identifier les causes réelles de ce fléau en a révélé de multiples qui sont aussi corrélées. Au-delà des déterminants sociaux, économiques et culturels, l'éloignement de l'école et l'absence de transport représentent les deux principales causes. Viennent ensuite le refus de l'enfant d'aller à l'école, la pauvreté, l'échec scolaire, les inégalités territoriales, le genre, le niveau de scolarité des parents et le non-accès au préscolaire. Si nous agissons sur ses causes, nous arriverons à maîtriser l'abandon scolaire. Car, à lui seul, l'accès au préscolaire réduit de moitié le taux d'abandon scolaire». Meriem Othmani, plus proche de la réalité du terrain, précisera toutefois que «la pauvreté n'est pas la cause réelle et profonde de l'abandon scolaire. Les représentants de l'association Insaf ont identifié un déterminant important dans le milieu rural. Des intermédiaires, appelés communément en darija «semsara», réussissent à convaincre les parents de leur livrer leurs enfants en leur faisant croire qu'ils vont vivre dans de meilleures conditions. Dans le milieu rural, les gens ne mentent pas, et ils ne savent pas que les autres peuvent leur mentir». Les faits sont têtus. Les chiffres du HCP aussi. L'instance a estimé que «247.000 enfants travaillaient en 2017 alors que 80 % d'entre eux allaient à l'école». Les employeurs doivent être sensibilisés au fait que la seule issue pour les enfants est l'école. Mounia Benchekroun, également militante, rappellera que selon les conclusions de l'un des derniers rapports de l'ONDH, «un tiers des enfants abandonnent l'école parce qu'ils ne l'aiment pas. Ils ne donnent pas de sens aux apprentissages scolaires, à la nécessité de leur présence à l'école, ils n'ont pas de vision, pas de modèles. Ils ne savent pas que plusieurs métiers existent. Plusieurs n'en connaissent que 4 ou 5. L'environnement familial et social ne leur donne pas l'opportunité de développer des compétences psychosociales, ne leur transmet pas les valeurs essentielles à l'émergence de futurs citoyens accomplis et épanouis». Pour Rita El Kadiri, il faut innover et s'adapter aux besoins de ces jeunes en termes d'éducation. La Fondation Zakoura qui œuvre depuis 1997 lancera à ce titre en octobre prochain le premier modèle de collège rural numérique. «Basé sur la visioconférence, nous allons projeter des cours qui se passent en ville dans les classes des collèges ruraux. L'axe Rabat-Kénitra a été choisi comme région pilote», précise la représentante de l'ONG. L'état des lieux et les programmes présentés par les ONG présentes au débat ont démontré que le phénomène est certes complexe, mais qu'il s'agissait d'une affaire de tous. Le ministère devra mettre les bouchées doubles pour accompagner le processus innovant qui devra reposer sur une stratégie de base supportée par des infrastructures scolaires dignes de capter l'enfant dans les antres de l'école. Ce qui est loin d'être la cas aujourd'hui dans plusieurs régions et quartiers de certaines villes comme la métropole économique.