Il n'y a pas de majorité pour décider d'une intervention militaire. Mais le risque de guerre est plus élevé. La faille se creuse entre Paris et Washington. Bagdad mine ses champs de pétrole. Onze des quinze membres du Conseil de sécurité de l'ONU sont pour prolonger les inspections en Irak. Seuls les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Bulgarie soutiennent l'option militaire. Les autres, c'est-à-dire l'écrasante majorité, espèrent promouvoir une alternative à la guerre qui passe par le renforcement des inspections en Irak. Vendredi au Conseil de sécurité de l'ONU, « nous ferons notre proposition qui n'est pas une proposition de faiblesse. Il s'agit de renforcer par tous les moyens les inspections et de faire plier Saddam Hussein, mais qui donne une ultime chance à la paix », a déclaré un haut responsable français, tout en reconnaissant qu'« il y a aujourd'hui plus de risques que la guerre ait lieu, qu'elle n'ait pas lieu ». Pour lui, « depuis six mois, la volonté de paix qu'exprime notamment la France résiste » et les contacts entre le président français Jacques Chirac et son homologue russe Vladimir Poutine «ont conforté le camp de la paix». «Il s'agit de mettre sur Saddam Hussein une pression forte avec au bout du compte, s'il ne se conforme pas à ces injonctions, l'examen de toutes les options». Ce responsable français a assuré qu'il «rêve d'une Europe partenaire et non pas d'une Europe vassale», mettant l'accent sur deux points de divergences entre Paris et Washington sur la nature d'une guerre en Irak et ses conséquences géopolitiques. Les grandes manœuvres diplomatiques s'accélèrent aux Nations unies avec le renforcement de l'axe Paris-Moscou-Berlin, rejoint par Pékin qui œuvre dans le sens du renforcement des inspections en Irak. Les Etats-Unis, déjà échaudés par la crise de l'OTAN, dissimulent difficilement leur exaspération. À quelques heures d'une réunion cruciale du Conseil de sécurité qui entendra un nouveau rapport des chefs des inspecteurs, l'initiative commune de la France, la Russie et l'Allemagne vise à rassembler les autres membres du Conseil autour d'une alternative pacifique et contrer l'offensive américaine en faveur d'une résolution fixant un ultimatum à Saddam Hussein. Paris, Moscou et Berlin affirment qu'il « y a encore une alternative à la guerre » et qu'elle passe par la poursuite et le renforcement des inspections du désarmement de l'Irak. La France a d'ailleurs commencé à faire circuler un projet de texte d'une résolution précisant ce que pourrait être un renforcement des inspections qui passerait par un doublement, voire un triplement des effectifs onusiens. En réaction, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, a estimé qu'augmenter un millier de fois le nombre d'inspecteurs ne servirait à rien. L'Irak s'est pour sa part, engagé à se conformer entièrement à son obligation de désarmer. Les vols d'avion espions U-2 réclamés par les inspecteurs en désarmement de l'Irak sont désormais autorisés sans conditions. Bagdad a aussi autorisé des Mirages français et des Antonov russes à survoler son territoire. L'ouverture irakienne a été qualifiée par l'Administration Bush de « retraite « tactique ». Les renforts militaires américains continuent à affluer dans le Golfe et les pays limitrophes où le nombre de soldats qui y sont déployés avoisine les 135.000 hommes, malgré les oppositions de plus en plus fermes à une guerre. Quelque 55.000 soldats américains se trouvent au Koweït et 35.000 croisent à bord de navires qui ont jeté l'ancre dans la région. Le Pentagone a affrété 47 avions de ligne à diverses compagnies, depuis le week-end pour transporter ses troupes vers le Golfe. 3.500 hommes relevant d'unités logistiques devaient par ailleurs gagner la Turquie dès qu'un mémorandum d'accord aura été signé avec Ankara pour définir le statut juridique de ces troupes durant leur stationnement. Ils ont pour charge de moderniser et d'entretenir des aérodromes et des ports pour recevoir le transit de quelque 20.000 militaires américains qui doivent ouvrir un front au Nord de l'Irak. En Irak, l'armée est en train d'installer de grandes quantités d'explosifs autour des champs pétrolifères, visiblement dans le but de les détruire en cas d'invasion américaine. Des entreprises irakiennes ont acheté des explosifs et les ont acheminés dans les zones de production du pétrole. Dès le début de la guerre, les militaires américains vont essayer de sécuriser ces champs de pétrole. Mais, il est peu vraisemblable qu'ils parviennent à sécuriser les 1.500 puits exploités à temps. En 1991, Saddam Hussein avait incendié 730 puits de pétrole au Koweït occupé, causant des pertes massives à l'économie koweïtienne. Il avait fallu huit mois et 40 milliards de dollars au Koweït pour venir à bout de ces incendies.