Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. Sarkozy décore son «ami Dahmane» Bercy, 26 mai 2004 Conseiller principal d'éducation dans un collège du 18ème arrondissement de Paris, Abderrahmane Dahmane a la poignée de main chaleureuse et le tutoiement facile. Pourfendeur des islamistes, ce «démocrate musulman» se targue de ne pas avoir une seule fille voilée dans son établissement : «Elles l'enlèvent avant d'entrer.» L'homme est de tous les combats. Il met son grain de sel dans la vie politique française, et aussi dans les affaires algériennes. Un jour, il se mobilise contre les «extrémistes» de l'UOIF. Un soir, il organise un rassemblement en mémoire des victimes de la «barbarie des intégristes» à Madrid. Au printemps 2004, il fait campagne en faveur d'Ali Benflis, candidat aux élections présidentielles en Algérie, qui sera finalement battu à plate couture. Cette suractivité militante sème le trouble. Avant de défendre Benflis, Dahmane n'avait-il pas, pour le scrutin précédent, supervisé un comité de soutien pour Bouteflika, le président sortant opposé cette fois-ci à Benflis? Téléphone vissé à l'oreille, Dahmane entretient son réseau. Au fil des années, il est devenu une figure incontournable, et incontrôlable, du microcosme de l'Islam de France. Redouté, moqué ou courtisé, malin pour ses amis, retors pour ses ennemis, il s'impose avec sa voix puissante. Il a du coffre. Son parcours révèle une étonannte disposition à se fâcher avec ses «amis» avant de se réconcilier en fonction de l'opportunité du moment. Une technique de manipulation érigée en système. Nicolas Sarkozy, qui le tutoie, ne s'y est pas trompé. Après la mise en place du CFCM, Dahmane n'a de cesse d'accuser de tous les maux l'instance du «clergé musulman». Avec son vocabulaire rugueux, il sait mettre les rieurs dans sa poche. En homme politique avisé, Sarkozy se dit qu'il est de bonne stratégie d'embrasser son ennemi pour mieux le contenir. Le 18 octobre 2003, le ministre de l'Intérieur honore de sa présnece le congrès fondateur de la nouvelle association de Dahmane, le «conseil des démocrates musulmans». Coutumier des tapes amicales, le ministre de l'Intérieur sait y faire. À la tribune, il prend l'intonation arabe pour rendre hommage à son «ami Dar'mane», encarté à l'UMP. Le conseiller principal d'éducation est au comble de la fierté. Il l'est encore plus, le 26 mai 2004, lorsque Sarkozy, devenu entre-temps ministre de l'Économie, le décore de la légion d'honneur. Pour remercier son hôte de Bercy, Dahmane lui offre un sabre «dont il aura bien besoin». Quelques semaines plus tôt, Dahmane avait organisé un rendez-vous politique à la Mosquée de Paris, un iftar débat, un dîner de rupture de jeûne, autour de Jean-Paul Huchon, candidat socialiste aux régionales. Curieuse confusion des genres entre la politique et le religieux. Ancien directeur de Radio France Maghreb, Abderrahmane Dahmane participe en 1983 à l'aventure de la Marche des beurs et de SOS Racisme. Dissident de nature, il crée en juin 1986 un mouvement concurrent, Génération 2001. Il raconte : «J'ai vu arriver l'armée des socialistes. Je ne voulais pas être phagocyté.» Au milieu des années 90, Dahmane engage son virage «religieux». Dans le cadre du Conseil représnetatif mis en place sous Pasqua, il apparaît en 1995 au côté de son «lointain cousin» Boubakeur. Rapidement, Dahmane fait sécession en compagnie d'une autre «personnalité» du petit monde musulman de France, Khadija Khali, présidente de l'Union des femmes musulmanes. Le 16 décembre 1995, le duo met en place son «Haut Conseil des musulmans de France» (HCMF). Les RG rapportent : «Principal concepteur du projet, M. Dahmane apparaît avant tout motivé par le souci de se constituer une notoriété susceptible de lui fournir suffisamment de crédibilité pour reprendre le contrôle de Radio France Maghreb. Issu des rangs du mouvement beur laïc, M. Dahmane ne porte d'ailleurs pour l'Islam qu'un intérêt récent. Cette recherche de notoriété, en l'absence de reconnaissance religieuse, a conduit l'intéressé à se rapprocher, un temps, de l'UOIF 1.» Un mouvement que l'intéressé dénonce aujourd'hui : «J'ai organisé un colloque avec une des responsables de l'UOIF. Je voulais savoir ce qu'ils voulaient. Quant j'ai vu les filles en burka, j'ai compris.» Cruels, les limiers des RG notent que l'adresse de son «Haut Conseil» est la même que celle du siège de Radio France Maghreb : «Ce qui a ajouté à l'irritation des autorités algériennes qui voient dans cette initiative une nouvelle déstabilisation de l'influence algérienne sur la Grande Mosquée de Paris.» Dès lors, «l'éviction de M. Dahmane (…) est devenue un des objectifs du colonel Souames, responsable de l'antenne parisienne de la Sécurité militaire algérienne». Dahmane se défend : «La radio et le HCMF avaient la même entrée, mais c'était deux appartements différents.» Sens des affaires, politique et services secrets : le cocktail est explosif. Les RG épinglent aussi l'acolyte de Dahmane, Khadidja Khali. Veuve d'officier, gaulliste de la première heure, «elle prétend avoir effectué dans le passé plusieurs missions «confidentielles» pour le compte du gouvernement français. Elle-même parle de l'affaire des otages du Liban. En tout cas, cette militante RPR a ses entrées auprès d'Alain Juppé et Jacques Toubon. Ancienne conseillère au cabinet du secrétaire Robert Pandraud, elle se trague de fréquenter Bernadette Chirac. «C'est une dame très gentille, un exemple d'intégration», sourit Nicolas Sarkozy. À l'époque, l'objectif du couple Dahmane-Khali est clair : éliminer Dalil Boubakeur de la Mosquée de Paris. L'ondoyant recteur a décidément beaucoup d'ennemis. La guerre atteint son apogée quand Dahmane publie dans la revue Islam une lettre du recteur demandant au ministère de l'Intérieur l'expulsion d'un imam de Grenoble coupable de «prises de positions extrémistes». La revue titre : «Quand l'abbé Pierre défend les Maliens, Boubakeur fait expulser les imams». Cependant, la coalition du conseiller principal d'éducation et de la veuve d'officier n'a rien d'une idylle. Selon les RG, Dahmane déclare qu'il «faudra virer Mme Khali une fois qu'elle aura servi à obtenir l'argent que les autorités avaient promis». Les services de police soupçonnent cette dernière de jouer un double jeu : «Tout en se démarquant des responsables de la Grande Mosquée de Paris, elle entretient, en effet, des relations avec le représentant en France des services de sécurité algériens 2.» La suite vire au vaudeville affairiste. Les opposants à Dahmane se mobilisent et l'accusent de vouloir remplacer le recteur par un «richissime Algérien, qui souhaiterait une vaste entreprise de commercialisation de viande halal 3». Finalement, le 17 février 1997, Dahmane fait allégeance à Boubakeur. Une fraternisation quelque peu «forcée», dont le «principal instigateur» n'est autre que le colonel Souames, représentant des services secrets algériens à Paris. Voilà un aspect occulté de l'Islam de France : sa cogestion permanente avec des puissances étrangères. Est-ce la meilleure méthode pour assurer l'indépendance, qui est, en paroles au moins, l'objectif du gouvernement? 1- Note, RG. 2- Ibid 3- «L'organisation de l'Islam en France», DCRG, juin 1997.