Sorti dans les salles marocaines en même temps qu'en Europe, Gangs of New York de Martin Scorsese a réussi à nous dévoiler une face longtemps cachée de l'Amérique sanguinaire, mais pèche par son manque d'originalité. Une superproduction américaine mais non pas le chef-d'œuvre auquel on pouvait s'attendre. Le cinéphile marocain aura été, le temps d'un film, un cinéphile du monde. Voir un film à Casablanca ou Rabat, en même temps qu'à Paris ou Londres, et à une semaine de décalage de New York, relevait du trop beau pour être vrai. Mais c'est désormais rendu possible. Du moins lorsqu'il s'est agi de «Gangs of New York», le dernier né du plus yankees des réalisateurs américains, l'un des plus grands aussi: Martin Scorsese. Un Scorsese dont l'histoire du film a bercé l'enfance. Un film qui puisse regrouper tous ses talents de réalisateurs pour être son master-piece, une sorte d'héritage qu'il va léguer au cinéma mondial comme à ses millions d'adorateurs. Et voilà qui est fait. L'action se passe dans le ténébreux et glauque 19ème siècle new-yorkais. Five Points est un quartier qui symbolique la décadence pré-Guerre Civile qui allait ravager, ou arranger, le pays tout entier. Il est également le théâtre de véritables boucheries dont les protagonistes sont constitués en gangs. D'un côté, les Irlandais des Dead Rabbits, avec le Père Vallon (Liam Neeson) comme chef de file. De l'autre, les Native Americans, menés par le sanguinaire Bill le Boucher (le grand Daniel Day-Lewis). La première scène du film plante d'ores et déjà le décor. Une bataille se prépare. Elle se solde par la victoire des Native Americans et l'assassinat du Père Vallon, devant le regard enragé de Amsterdam, son propre enfant. Toute son enfance durant, il murira une haine que seule la mort de l'assassin de son père calmera. Entre temps, Le Boucher prend le contrôle exclusif des rues de la « Grosse Pomme », s'alliant avec les représentants de l'ordre pour semer le chaos. Devenu adulte, Amsterdam Vallon (Leonardo DiCaprio) souhaite venger la mort de son père en éliminant Bill. Mais sa rencontre avec Jenny Everdeane (Cameron Diaz), une énigmatique pickpocket aussi fascinante que rebelle, ne va rien arranger. Au-delà de l'histoire, qui retrace par ailleurs un aspect méconnu du Nouveau monde, Gangs of New York se voulait l'aboutissement d'une exploration narrative que Scorsese a entamée dès ses débuts dans le cinéma : non-linéarité du récit, l'omniprésence de la religion (le catholicisme), le réalisme et la crédibilité, le souci du détail. Tout Scorsese y est. Mais c'est tout. Là est peut-être l'aspect que l'on peut reprocher au film, à savoir le manque total d'originalité. Même si, à aucun moment, l'on ne sent sa durée de trois heures, tellement le cours des événements est stressant, exaltant. De cette fresque aux fortes couleurs, de cet opéra de bruit et de fureur, l'on ne peut certes qu'être ébloui, mais l'on peut pas non plus s'empêcher de se sentir assommé. Une compilation trop riche de belles images qui cherche avant tout à séduire. Et ça se sent. La perfection du décor, le sur-usage des techniques et des effets de joliesse et les marées de sang qui traversent l'œuvre noient entièrement les personnages. Même convaincants, Dicaprio et Diaz, timides et effacé devant la grandeur du projet et de son initiateur, arrivent difficilement à imposer leurs personnages respectifs. Seul rescapé : le talentueux Daniel Day Lewis. Il porte littéralement ce long fleuve, loin d'être paisible et qui use de trop de violence et manque d'émotion pour être un chef-d'oeuvre. Un seul véritable mérite est à accorder à Gangs of New York : celui de nous avoir dévoilé une face cachée de l'être américain. Une face d'une étonnante actualité et qui lui a valu, malgré les réticences des uns et des autres, le prix du meilleur réalisateurs dans les derniers Golden Globe Awards.