Les sorties médiatiques du porte-parole du gouvernement ne peuvent constituer en soi une politique gouvernementale. Comme la discrétion ne peut être hissée au rang de méthode de gestion. Malgré l'état de grâce dont bénéficie, incontestablement, le Premier ministre Driss Jettou auprès de l'opinion publique, il va falloir occuper le terrain, accélérer la cadence et manifester plus de visibilité. La nature a horreur du vide, surtout en politique. Le gouvernement est-il entré en hibernation à cause de la vague de froid qui s'abat actuellement sur le pays ? En dehors des traditionnels conseils de gouvernement et de la séance des questions orales au Parlement, les ministres sont plutôt absents. Résultat : l'impression qui se dégage est que l'équipe Jettou n'occupe pas suffisamment le terrain. Soit elle est tétanisée par l'immensité des défis qui l'attend soit son enthousiasme se trouve refréné par la deuxième guerre du Golfe qui s'annonce. Stratégie de “wait and see“. Qu'en est-il réellement ? Dans l'entourage du Premier ministre, on se veut rassurant. “ Le gouvernement travaille en silence“. Cette phrase revient comme une ritournelle. Dans son calme apparent, l'exécutif est donc en plein action. Vous allez voir ce que vous allez voir… Les ministres sont-ils en train de défaire les cartons de leurs prédécesseurs au nom du droit d'inventaire ? Peu probable vu que cet exercice n'est pas une tradition au Maroc où l'on préfère se glisser souvent dans les pantoufles de ses prédécesseurs. Et puis, est-il vraiment nécessaire de sacrifier à ce rituel lorsque l'on sait que les politiques gouvernementales au Maroc ont ceci de particulier qu'elles sont généralement identiques ? Changement de personnes et surtout des ministres plutôt que du mode de gouvernance. Cela se voit dans la Loi de finances qui est, d'un an à l'autre, à quelques retouches près, la copie de la précédente. C'est ce que les Marocains ont pris l'habitude d'appeler : le changement dans la continuité. C'est-à-dire changer en se conformant à une certaine ligne. En fait, on croit savoir que chaque ministre, selon les consignes du chef, est en train de mitonner son plan d'action à court et à moyen terme dans le droit fil du programme gouvernemental. Vous allez voir ce que vous allez voir… Une phase donc de préparation des objectifs à atteindre et des réformes à mettre en œuvre même si cette tâche ne devrait pas normalement accaparer le plus clair du temps des ministres… Un ministre bien entouré et bien conseillé est censé déléguer les dossiers à ses collaborateurs… Probablement que le tempérament de Driss Jettou a déteint aussi sur son équipe. L'homme est réputé pour privilégier la discrétion sur les effets d'annonce et miser plutôt sur les résultats que sur la langue de bois. Ce n'est pas un haut responsable en lévitation médiatique qui se dope aux sunlights. Jettou se conçoit et se vit d'abord en chef d'une grosse entreprise : le Maroc. Si on devait décrire l'apparence du Premier ministre et celle de ses collaborateurs, on les affublerait volontiers de lenteur affable et de sourire aimable. Cependant, les handicaps ne manquent pas, qui ne sont pas de nature à contribuer à une meilleure visibilité de l'action gouvernementale. D'abord et surtout celui-ci : le caractère pléthorique de la coalition : 39 ministres y compris le premier d'entre eux. Pour un cabinet qui a pour mission de prendre à bras le corps les grands chantiers et de s'attaquer de front aux multiples maux du pays, cela fait beaucoup. L'équipe aurait gagné a priori (en efficacité) à être plus ramassée. Mais M. Jettou s'est heurté fortement aux “finesses“ de la vie partisane qui ont réduit de manière substantielle sa marge de manœuvre. C'était pour lui une leçon de science Po à la marocaine en trois temps : course vers les portefeuilles, course vers les portefeuilles, course vers les portefeuilles. Ainsi édifié sur son monde, Driss Jettou, qui n'est plus aussi technocrate que ça, mise sur la qualité de certaines individualités composant son cabinet pour mener les réformes nécessaires, notamment la mise à niveau de l'économie et la résorption de l'habitat insalubre. Deux grands dossiers, qui lui tiennent particulièrement à cœur et qui constitueront à coup sûr à la fois le marqueur et l'enjeu de son mandat. Cependant, la proximité qui devrait marquer la démarche des ministres n'est pas encore palpable. Sans sacrifier à la politique spectacle et à la mise en scène, les ministres sont attendus sur le terrain pour être proche de leurs concitoyens et de leurs vrais problèmes. Une politique agissante et dynamique s'inspire du quotidien.