Sur fond de discussion du budget des transports au Parlement, le lobby des camionneurs exerce des pressions sur le gouvernement pour obtenir des allègements fiscaux. En attendant, ces mêmes opérateurs opposent toutes formes de résistance et d'atermoiement pour reculer la mise à niveau du secteur, y compris en matière des droits économiques et sociaux des routiers. La fédération nationale du transport routier au Maroc (FNTR) a entamé, hier une grève de 48 heures à l'échelle nationale. Ce débrayage est motivé selon les responsables de la Fédération par l'indifférence du gouvernement envers le dossier épineux du transport routier des marchandises. Selon le secrétaire général adjoint de la FNTR, Kamal Dichaoui, la grève a été fortement suivie par les camionneurs à travers toutes les régions du pays. Faisant une évaluation de la situation dès les premières heures de la journée d'hier, Dichaoui a affiché une satisfaction totale : « Dés à présent, je peux affirmer que le succès est total puisque l'activité dans les ports de Casablanca et d'Agadir est bloquée depuis les premières heures du matin. Cet arrêt de travail est d'autant plus suivi que les transporteurs routiers de moins 8 tonnes se sont solidarisés avec nous en suivant le mot d'ordre de la grève. » Cette évaluation est à prendre avec précaution quand on sait que, dans toutes les grèves du monde, l'écart entre les estimations des grévistes et des pouvoirs publics demeure très grand. Ceci étant, il est difficile de minimiser l'ampleur de ce mouvement quand on sait que le conflit perdure depuis des années entre les transporteurs et le gouvernement. La détermination des premiers est telle qu'ils estiment avoir été leurrés par les promesses du gouvernement à chaque fois que la FNTR annonçait une grève. En effet depuis près de trois ans, plusieurs protocoles d'accord ont été signés avec le ministère des Transports et de la Marine marchande de l'époque. En 2000, la Fédération a déjà entamé une grève de 48 heures avant de l'arrêter après une journée d'arrêt de travail à la demande du ministère de tutelle. Les responsables de l'époque ont promis aux dirigeants de la FNTR, par le biais d'un communiqué commun, que leurs doléances sur la taxe de l'essieu seront prises en considération dans la prochaine loi de finances. Il n'en fut rien comme ce fut le cas lors de l'annonce de grève de décembre 2001 Mais la trêve n'a duré que le temps d'une concertation suivie des mêmes promesses et ponctuée par un communiqué commun. Depuis les ponts ont été coupés avec le gouvernement d'alternance comme ils le sont aujourd'hui avec le gouvernement Jettou que les transporteurs accusent d'indifférence et d'atermoiement. Les dirigeants de la FNTR remontent loin dans le temps en accusant les gouvernements respectifs depuis celui d'Abdellatif Filali d'avoir failli à leurs engagements. Des promesses, précise la Fédération, émises et notifiées par écrit par les pouvoirs publics lors des multiples communiqués signés conjointement par les deux parties. La grève actuelle a été déclenchée justement parce que les termes de ces accords n'ont pas été pris en compte dans la loi de finances 2003. Le secrétaire général adjoint de la FNTR, Kamal Dichaoui, évoque, à juste raison, la notion de la continuité de l'Etat qui doit respecter ses engagements même quand le gouvernement change. Parmi les revendications premières des transporteurs figure l'allégement de la pression fiscale qui affecte considérablement leur compétitivité et la qualité de maintenance des véhicules. Ce secteur est assujetti à trois impôts « routiers » relatifs respectivement aux dégâts causés par les véhicules à l'état des routes, à la taxe intérieure de consommation (TIC) et à une redevance à la Caisse routière. La première taxe s'élève à 9000 dirhams par camion et par an, la deuxième et la troisième sont calculées au prorata des litres de gasoil consommés. À ces taxes, il faut ajouter celle perçue par l'Office national de transport (ONT) qui représente le monopole de l'Etat et qui est calculée sur la valeur de la marchandise transportée. Le secrétaire général adjoint de la FNTR, Kamal Dichaoui, trouve insupportable le volume de cette pression fiscale au moment où on parle de la libéralisation et de la compétitivité des entreprises. Les professionnels du secteur réclament notamment l'application du principe du gasoil professionnel qui consiste à ce qu'ils récupèrent, même partiellement, le montant de la TIC comme cela est de vigueur en Europe. Ils réclament en outre la révision de la taxe à l'essieu comme le gouvernement s'est engagé à le faire à partir de l'exercice budgétaire en cours. Mais la loi de finances 2003 ne contient aucune référence à cette taxe même dans sa version amendée. La FNTR s'inquiète notamment de l'avenir réservé à la mise à niveau du secteur dont la loi 16/99 promulguée en 2000 devrait être mise en oeuvre dés le 12 mars prochain. La période transitoire de trois ans pour la mise en place des mesures d'accompagnement de cette loi est terminée sans qu'il y ait le moindre indice de son applicabilité. Or cette loi etait censée révolutionner le secteur notamment sur la question des privilèges des "Agréments" qui devraient êtres supprimés. Mais cette loi aussi est censée professionnaliser davantage le secteur par la qualification de ses opérateurs, entreprises, personnel et autres commissionnaires, pour améliorer sa compétitivité. Dans un sens, le secrétaire adjoint a raison quand il affirme que si le secteur connaît une telle détérioration, c'est que l'Etat nous pousse vers un glissement vers l'informel. L'état vétuste des véhicules, le nombre incroyable des accidents et la situation sociale déplorable des chauffeurs fait qu'on ne perçoit plus de différence entre le secteur formel et le secteur informel. D'autant plus que la plupart des entreprises dites organisées dans le transport routier compte à peine un parc limité de deux camions. C'est dire combien ce secteur patauge dans l'anarchie faute d'une réglementation stricte qui sied aux critères de la qualité, de compétitivité et de la sécurité des routiers. Reste à savoir si les pouvoirs publics disposent des outils nécessaires pour appliquer la loi 16/99 dans quelques semaines. La libéralisation du secteur du transport avec le regroupement des entreprises, les sessions de formation et surtout la suppression des privilèges « Agrément » n'est pas une sinécure. En attendant, il faut bien que le gouvernement remette de l'ordre dans le secteur en ouvrant le dialogue avec les transporteurs routiers. À notre connaissance, c'est la première vertu reconnue au gouvernement Jettou.