Face à l'échec des efforts de médiation régionaux et la menace d'un embrasement de la crise, la France a renforcé ses troupes en Côte d'Ivoire malgré les contestations dont elles font l'objet. Un constat s'est visiblement imposé au Quai d'Orsay : la communauté ouest-africaine n'a pas été capable de résoudre un conflit qui perdure depuis trois mois. Pleine de volonté au lendemain du soulèvement du 19 septembre, la CEDEAO avait confié au président togolais Eyadéma une mission délicate de médiation entre les rebelles et le gouvernement ivoiriens. Elle avait aussi annoncé l'envoi d'une force d'interposition, l'ECOMOG, en cas d'échec des pourparlers entamés fin octobre. Mais rien de concret n'est finalement apparu. Pire, avec l'enrôlement de quelque 3.000 jeunes dans les FANCI et l'apparition de plusieurs groupes rebelles, autres que le MPCI, dans l'ouest, la Côte d'Ivoire est désormais sur le point d'entrer dans une nouvelle phase guerrière. Impliquée depuis septembre, la France s'est d'abord consacrée à l'évacuation des ressortissants étrangers des zones de combats, la mission «Licorne». Elle a ensuite, le 17 octobre, était chargée de surveiller le cessez-le-feu tout juste signé. Et s'est retrouvée sur une ligne de front qui coupait de facto le pays en deux : les rebelles au nord et les troupes loyalistes au sud. Reste que ces bons offices français, vus par certains comme une ingérence injustifiée dans une crise ivoiro-ivoirienne, ne devaient être que temporaires. Le but était de permettre aux deux camps de trouver un accord de paix à Lomé ou, le cas échéant, à l'ECOMOG de se déployer. La récente découverte du charnier de 120 cadavres à Monoko-Zohi et la diversité des groupes rebelles dans l'ouest ont pourtant eu raison de cette fragile accalmie. Tout comme les accusations d'exactions dans les zones sous contrôle des FANCI et l'arrivée de mercenaires étrangers. Officiellement bloquées, les négociations togolaises sont en fait inexistantes et les deux camps se disent désormais prêts à reprendre les armes. Samedi, quelque 150 légionnaires-parachutistes français sont donc partis pour la Cöte d'Ivoire, trois jours après que le Quai d'Orsay ait annoncé le renforcement de ses troupes sur le terrain. Ces hommes constituent la première partie des quelque 500 soldats attendus au cours de la semaine malgré l'opposition de plus en plus manifeste d'une partie des Ivoiriens, notamment les sympathisants rebelles. Samedi, une grande manifestation - rassemblant plus de 600.000 personnes selon les organisateurs ! - a d'ailleurs été organisée à Bouaké, le «quartier général» du MPCI situé dans le centre, pour demander le départ de ces militaires français. Ses porte-paroles ont même remis une «motion de protestation contre l'occupation de la Côte d'Ivoire par la France» aux parties concernées. Ce texte dénonçait la complicité de Paris avec le pouvoir et ses «visées néo-coloniales», après que le chef de la diplomatie française ait encore répété la semaine dernière que son pays soutenait les «autorités légitimes» ivoiriennes. Face à cette crise toujours aussi confuse, plusieurs membres de la CEDEAO ont pour leur part décidé d'organiser un nouveau sommet, peut-être celui de la dernière chance, lundi, à Kara, au nord du Togo. Devaient y participer les dirigeants des pays les plus concernés par un embrasement du conflit, à savoir le président libérien Charles Taylor, celui du Togo Gnassingbé Eyadéma, les chefs d'Etat sénégalais Abdoulaye Wade, nigérian Olusegun Obasanjo et ghanéen John Kufuor. Seul le Burkina Faso, pourtant en première ligne dans cette crise, ne devait pas être représenté.