Adila Laïdi, directrice du centre Culturel Sakakini à Ramallah, a informé notre journal d'une nouvelle ahurissante. L'Académie des arts et des sciences du cinéma qui récompense chaque année des films par des Oscars a refusé à un long-métrage palestinien de présenter sa candidature. Motif : l'Etat de la Palestine n'existe pas, selon elle. L'Académie des arts et des sciences du cinéma a refusé à un film palestinien de se présenter dans la catégorie des meilleurs films étrangers, en lice pour cette statuette appelée Oscar. Motif évoqué par les honorables membres de cette Académie: ils ne reconnaissent pas l'Etat de la Palestine. Ils n'ont jamais entendu parler d'un peuple palestinien et de la nation qui lui confère son identité. Ils éradiquent de facto un peuple et toutes les manifestations artistiques qui peuvent l'imposer aux autres. Bien plus, un film tel que «Intervention divine» de Elia Suleiman, puisqu'il s'agit de lui, risque de présenter une image non conforme à celle que certains médias américains diffusent dans leur pays. Inutile de préciser le contenu de cette image. Les Palestiniens : des terroristes qui répandent le sang des innocents. Ils ne peuvent pas créer du beau. Cela est contraire aux idées que l'on se fait d'eux. Cela risque de leur valoir des sympathies de personnes qui découvrent tout d'un coup que les Palestiniens vivent des histoires d'amour, et comble de l'hérésie -pour les organisateurs- qu'ils ont de l'humour. Le film d'Elia Suleiman n'en manque pas. Les habitants de Ramallah subissent des privations, toutes les exactions, ce qui ne les empêche pas pour autant de rire. Pour dénoncer l'occupation israélienne, Elia Suleiman a choisi l'impertinence et le ton décalé comme mode d'expression, comme style. Les Palestiniens sont aussi capables d'aimer. Le film raconte en effet une histoire d'amour que E. S. (rôle interprété par Elia Suleiman lui-même) vit avec une jeune et très belle femme de Ramallah (Manal Khader). N'ayant pas d'autres possibilités, ils se retrouvent très souvent au «parking» du check-point entre Nazareth et Ramallah. Des rencontres bien silencieuses qui disent tout de la réalité de cette frontière. Ils regardent, et nous regardons avec eux. Tout. Pas de discours, ni de vaines indignations verbales. Et justement, le grand mérite de ce film est qu'il est presque muet et qu'il impose, comme arme de résistance aux bruits des bottes et des canons, l'esthétique du silence. L'on ne va pas spéculer sur son éviction des Oscars en raison de ses chances très sérieuses de remporter la statuette. Puisque tel n'est pas le cas, et répétons-le, insistons là-dessus : le film a été refusé par l'Académie au motif que la Palestine n'est pas une nation. Il serait intéressant d'ailleurs de s'arrêter sur l'acception du mot «nation» tel que l'entendent les censeurs de ce film. Est une nation, le peuple auquel l'administration de Bush junior assigne cette qualité. Ce gouvernement a donc un droit de regard sur la nationalité des peuples. Tel est ceci et tel autre est inconnu des manuels de géographie américains. Du moment que la Palestine n'existe pas, ses expressions artistiques n'ont pas le droit à l'existence. Personne ne peut critiquer la cohérence du cheminement logique des Américains. Mais personne ne peut, non plus, ne pas en déduire que les USA et Israel ne font qu'un seul bloc contre des ennemis communs, qu'ils disséminent lorsque des mots peuvent contrarier leur politique commune. Quant aux qualités esthétiques de « Intervention divine », ce film a été salué unanimement partout où il a été montré. À Cannes, à Marrakech. Il a reçu la semaine dernière le trophée de Meilleur film non-européen lors de la 15ème édition du prix du film européen, décerné par l'Académie du cinéma européen. Une Académie dont les membres sont vraisemblablement maîtres de leurs têtes et de leurs yeux.