Savez-vous que les joyaux architecturaux à Rabat et à Casablanca ne sont pas encore classés monuments historiques ? Cette négligence les expose à des transformations en tous genres, voire à la démolition. Explications au sujet d'une loi qui existe, mais qui n'est pas appliquée là où elle devrait l'être. Imaginons que nos députés découvrent, un jour, la façade du Parlement revêtue de verre. Imaginons leurs yeux ahuris et incrédules devant le spectacle des murs couverts, en toute légalité, de graffitis. Imaginons – une situation extrême – où quelqu'un leur interdit l'entrée de l'édifice en leur présentant des documents certifiant son achat. Cela ne relève pas de la science-fiction. Tant que ce bâtiment n'est pas classé monument historique, il n'est pas à l'abri des transformations et des aléas de l'Histoire. Le Parlement n'est pas d'ailleurs la seule construction, présentant un intérêt architectural, qui n'est pas classée monument historique. Tous les bâtiments, longeant l'avenue Mohamed V à Rabat, ne sont pas classés. La poste, Bank Al-Maghrib, l'hôtel Balima et d'autres édifices datant du protectorat. L'agencement urbanistique de cette avenue a été décidé par le maréchal Lyautey. Il a été dessiné pour revêtir un caractère monumental. Aucune loi n'en garantit la pérennité. Pareil pour d'autres bâtiments construits pendant la première moitié du XXe siècle et qui sont occupés soit par des ministères, soit par des administrations publiques. « C'est une situation très dangereuse, parce que n'importe quelle administration peut procéder à des travaux, transformer, voire détruire », dit un architecte. Sur ce chapitre, Casablanca n'est guère mieux protégé que Rabat. Aucun des imposants édifices situés à la place Mohamed V n'est classé. Il existe dans cette ville une association qui veille depuis des années à la protection des bâtiments dont l'architecture présente un intérêt. Il s'agit de Casa-mémoire. Son président, Rachid Andalousssi, dit à cet égard : « pour qu'un bâtiment soit classé, il faut qu'il soit menacé. Nous agissons dans ce sens en fonction des priorités. Nous ne sommes pas inquiets pour ceux occupés par des administrations. Demain, si l'on apprend que la Wilaya de Casablanca sera démolie, tout le monde va crier au scandale ! » Il n'est pas nécessaire de démolir pour dénaturer une architecture. Les travaux à l'intérieur d'une construction sont souvent contraires aux idées et à la réflexion qui ont sous-tendu leur conception. Les administrations procèdent à des modifications en fonction de leurs besoins, et généralement sans tenir compte de l'esthétique des lieux. On voit mal un ministre consulter une quelconque autorité avant d'entreprendre des travaux dans son ministère. Ces modifications passent généralement inaperçues, mais elles amputent l'intérieur du bâtiment de constituants qui présentent un intérêt historique. Pour donner une idée du laisser-aller en la matière, il suffit de citer les transformations de Bank Al Maghrib, à Rabat, en 1967. Le bâtiment tel qu'on le voit aujourd'hui comprend une extension qui n'existait pas en 1928. La réalisation des nouveaux locaux a été confiée à l'architecte Mourad Ben Embarek. Ce dernier a étudié les plans anciens en vue de rendre son architecture conforme au style du bâtiment d'origine. Il a également eu l'intelligence d'aller chercher les blocs de pierre dans la carrière où ont été extraits ceux qui ont servi à la construction de l'édifice en 1928. De telle sorte que l'on ne voit pas de différence entre la couleur du bâtiment d'origine et son extension. Mais cette initiative appartient au seul architecte. « A aucun moment, je n'ai reçu la visite des services censées veiller sur ce patrimoine : les monuments historiques », nous confie-t-il. Ces services existent donc dans notre pays; les lois pour protéger le patrimoine, aussi. En effet, les biens culturels, aussi bien privés que publics, classés monuments historiques, bénéficient de la protection de l'Etat. La procédure en vigueur pour qu'un bien culturel soit classé monument historique se déroule selon les étapes suivantes. Après avoir reçu une demande de la part d'un propriétaire privé ou d'une collectivité locale, des experts visitent le lieu pour apporter les premiers éléments d'appréciation sur le bâtiment. Ensuite, un dossier regroupant les éléments de l'expertise est réalisé. À partir du moment où un bien est classé, il devient non modifiable et indestructible. Les choses semblent couler de source lorsqu'on se renseigne sur la procédure, mais la réalité est plus complexe. «La procédure est assez longue», dit laconiquement Abdejlil Hajraoui, directeur des monuments historiques. Il est vrai que le mot classer n'est pas un vain mot, puisqu'il s'agit d'inventorier toutes les composantes, à l'intérieur et à l'extérieur d'un bâtiment, qui présentent un intérêt. Cela peut aller de la poignée de porte jusqu'au carrelage. Mais est-ce une raison suffisante pour laisser à l'abandon ces bâtiments qui ne sont pas protégés par une loi qui pourtant existe ? Le directeur du patrimoine dit : «nous avons des projets pour les classer». A quand alors ?