L'opposant Viktor Iouchtchenko a proclamé lundi sa victoire à la présidentielle en Ukraine, battant ainsi son rival pro-Russe, le Premier ministre Viktor Ianoukovitch. L'élection du réformateur pro-Occidental a fini par venir à bout d'une élection présidentielle aux multiples rebondissements qui laisse un pays profondément divisé. Dans un discours prononcé avant l'aube sur la Place de l'Indépendance, principal théâtre de la « révolution orange » dont il est le leader incontestable, Viktor Iouchtchenko a déjà clamé sa victoire qui marque le début d'une nouvelle ère politique dans ce pays d'ex-URSS de 48 millions d'habitants, dirigé depuis dix ans par le président pro-Russe Léonid Koutchma. Après dépouillement de la quasi-totalité des suffrages exprimés, la Commission centrale électorale a annoncé lundi que le candidat du bloc « Notre Ukraine » obtenait un peu plus de 52 % des voix, contre un peu moins de 44 % pour le Premier ministre sortant Viktor Ianoukovitch, un écart mathématiquement insurmontable pour le candidat qui était soutenu par Moscou. Le taux de participation est supérieur à 77 % des 37,17 millions d'électeurs inscrits. « C'est une victoire du peuple ukrainien, une victoire de la nation ukrainienne. Nous étions indépendants depuis quatorze ans, aujourd'hui, nous sommes libres», a lancé, depuis son QG électoral de Kiev, l'homme au visage défiguré par un empoisonnement à la dioxine. Viktor Iouchtchenko a promis de recentrer son pays en direction de l'Europe, faisant craindre au «grand frère» russe une perte d'influence dans l'ancien grenier à céréales de l'Union soviétique. Toutefois, le même Ioutchenko n'a pas arrêté depuis quelque temps de présenter la Russie comme un « partenaire stratégique » de l'Ukraine. Cela n'a rien de surprenant puisque, pour le vainqueur «c'est désormais le début d'une nouvelle ère, le début d'une nouvelle grande démocratie». Cette « révolution orange » est intervenue tout juste un an après la « révolution de la rose» qui a porté au pouvoir dans l'ex-République soviétique de Géorgie un autre pro-Occidental, Mikhaïl Saakachvili. La presse ukrainienne se montrait toutefois très prudente lundi sur une victoire de M. Iouchtchenko, estimant que son rival, vainqueur déchu du scrutin du 21 novembre, pourrait décider de contester à son tour le résultat du vote. En effet, l'état-major de campagne de Ianoukovitch a dénoncé de nombreuses irrégularités. Taras Tchornovil, directeur de campagne du Premier ministre sortant, a évoqué jusqu'à trois millions de bulletins de vote litigieux et n'a pas exclu un recours devant les instances compétentes. D'ailleurs, Ianoukovitch, qui n'a pas reconnu sa probable défaite, a prévenu qu'il ne fallait s'attendre à aucune concession de sa part. «Si nous perdons, il y aura une opposition acharnée. Ils verront ce que c'est une opposition », a-t-il dit. Et dans son bastion politique de l'Est russophone de l'Ukraine, des électeurs ont d'ores et déjà menacé de protester contre la défaite annoncée de leur candidat. Cependant, jusqu'en début d'après-midi du lundi, aucune confirmation indépendante ne signalait de fraudes de l'ampleur de celles ayant entaché le deuxième tour de scrutin, le 21 novembre dernier. En plus, près de 12 000 observateurs étrangers avaient été déployés dimanche à travers l'Ukraine pour superviser le déroulement du scrutin dans les 33.000 bureaux de vote du pays. D'un autre côté, la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) devait rendre publiques dans l'après-midi du lundi ses conclusions sur le déroulement de ce troisième tour. Mais d'après les premières indications, il semblerait que l'OSCE pourrait juger ces élections libres et équitables, faisant de l'Ukraine le deuxième pays issu de l'éclatement de l'Union soviétique, après la Géorgie, à obtenir ce label en dix ans. En Ukraine, le plus grand défi du nouveau vainqueur sera de réconcilier les Ukrainiens au terme d'une campagne électorale de trois mois, à la propagande souvent odieuse ayant dressé l'un contre l'autre l'Est russophone pro-Ianoukovitch et l'Ouest nationaliste soutenant l'opposition. M. Iouchtchenko devra enfin répondre rapidement aux espoirs de changement démocratique que la « révolution orange » a suscités dans ce pays pour ne pas décevoir ses partisans. Ce qui revient à dire que même en détrônant son rival, Iouchtchenko est toujours en face de nombreux défis.