Le torchon brûle sérieusement entre la Libye et l'Arabie saoudite. Cela dépasse visiblement l'incident diplomatique et risque d'atteindre une rupture définitive. L'Arabie saoudite a rappelé son ambassadeur en Libye et va demander à l'ambassadeur libyen à Riyad de quitter le royaume, a annoncé, le mercredi 22 décembre, le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud Al-Fayçal. «Nous avons demandé à notre ambassadeur en Libye de regagner le pays et nous allons remettre un mémorandum à l'ambassadeur libyen lui demandant de quitter le royaume», a-t-il déclaré à la presse et sur les écrans de plusieurs chaînes satellitaires arabes. Officiellement et de la bouche même du prince Fayçal, c'est «le complot libyen concernant le royaume» qui est derrière cette décision. L'allusion est faite, bien entendu, à l'hypothétique implication du régime Libyen dans un projet d'assassinat en 2003 contre le prince héritier saoudien, Abdallah Ben Abdelaziz, le vrai patron, en fait, du Royaume. Et le prince Saoud d'ajouter d'une voix à peine audible sur les télés arabes que le Royaume n'a pas pris d'autres mesures, juste «par considération pour le peuple libyen frère, notamment avec l'approche du pèlerinage aux lieux saints.» Mais le New York Times, qui a dévoilé l'information le 10 juin dernier, ne semble pas avoir de doutes : les services secrets libyens ont tenté de mettre au point, l'an dernier, un projet d'attentat visant le prince héritier saoudien, Abdallah ben Abdelaziz, dans le but de déstabiliser l'Arabie saoudite, pays lié aux Etats-Unis. Ce complot visait à frapper l'un des nerfs stratégiques des Etats-Unis. Or la Libye songeait à organiser cet assassinat alors que, sur le plan international, son leader, le colonel Mouammar Kadhafi, s'affairait très activement pour renouer avec Washington et Bruxelles. Les accusations ont été formulées par deux personnes impliquées dans le complot : Abderahmane Al-Amoudi, un arabe américain, détenu alors dans une prison à Alexandria, en Virginie, et le colonel Mohamed Ismaël, un agent secret libyen arrêté en Arabie saoudite. Pour sa part, le «New York Times» croit savoir que c'est à cause de cette affaire, que les Etats-Unis ont décidé de garder la Libye dans la liste des «pays qui soutiennent le terrorisme». Et, toujours selon ce quotidien, le président George W.Bush aurait promis à la monarchie saoudienne que son administration chercherait à établir toute la vérité sur le complot. M. Kadhafi n'a pas cru bon réagir aux déclarations des deux témoins. Son fils, Saïf Al-Islam Kadhafi, s'est borné à qualifier ces accusations d'histoires «n'ayant aucun sens». Pour sa part, le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdul Rahman Shalgam, a déclaré qu'il s'agissait de «grossiers mensonges» et a exclu que son pays ait pu avoir l'idée d'assassiner le prince héritier. Selon les deux témoins cités par le «New York Times», le prince héritier Abdallah ben Abdelaziz aurait pu succomber à une attaque armée conduite lors d'un défilé officiel. L'attentat, financé par la Libye, aurait dû être exécuté par des groupes liés à Al-Qaïda. L'information a été reprise, après qu'elle a été divulguée par le journal américain, par le quotidien arabophone à capitaux saoudiens «Asharq Al-Awsat». D'après ce dernier, quatre Saoudiens, membres présumés du réseau terroriste Al-Qaïda, avaient été recrutés par la Libye pour assassiner le prince héritier. Le journal avait indiqué que l'Arabie saoudite retenait en prison le colonel Mohammed Ismaïl, présenté comme un officier des renseignements libyens, qui aurait reconnu avoir été le commandant opérationnel du complot. Tripoli avait réfuté ces accusations, affirmant que de telles informations étaient l'œuvre « d'éléments hostiles à la Libye» qui «veulent empoisonner» les relations avec Riyad. Depuis, l'affaire s'était un peu tassée avant de rebondir subitement, il y a deux jours. Après l'annonce du ministre saoudien des Affaires étrangères concernant le rappel de l'ambassadeur du royaume à Tripoli, le ministre de l'Information a déclaré, mercredi soir à Al Jazirah, en réaction à la décision saoudienne, que «la Libye n'était pas responsable des troubles intérieurs que connaît l'Arabie saoudite, et n'avait rien à voir avec la décision de plusieurs tribus de renier la famille royale». Pas un détail sur le présumé attentat, cause de la décision saoudienne, sauf pour dire que la Jamahirya n'avait rien à voir avec ces accusations. Certains analystes considèrent l'acharnement saoudien comme une réaction contre le revirement positif des Etats-Unis à l'égard de la Libye. L'affaire est soumise à la Ligue arabe par les libyens et risque de prendre des tournures démesurées, compte tenu de la conjoncture internationale actuelle.