Le bilan macabre provisoire de 118 otages -plus les 50 éléments du commando tchétchène - tués lors de l'assaut samedi du théâtre moscovite, laisse perplexes certains observateurs, notamment sur la nature du gaz utilisé. «L'acte terroriste de Moscou, selon nos derniers chiffres, a fait 118 morts parmi les personnes qui se trouvaient entre les mains des terroristes», a déclaré dimanche un responsable du Ministère russe de la santé, cité par l'agence Interfax. Le premier bilan était de 90 victimes civiles -en plus des 50 membres du commando preneur d'otages- samedi, mais le nombre de blessés graves recensés laisse aujourd'hui penser qu'il pourrait être encore beaucoup plus lourd. Certes, les forces spéciales russes Alfa ont mis fin samedi matin à la prise d'otages de près de 800 personnes qui durait depuis trois jours dans un théâtre de Moscou, mais la méthode a été pour le moins radicale. Lors de cette opération, signe -selon les experts- d'un durcissement attendu de la politique du président Poutine en Tchétchénie, les troupes d'élite russes ont annoncé avoir tué 50 membres du commando tchétchène -18 femmes et 32 hommes-, dont leur chef Movsar Baraïev. Tous ont d'ailleurs été largement exhibés par les médias audiovisuels qui ont rapidement investi le théâtre déminé et vidé de ses otages -morts ou vifs- pour montrer les premières images des cadavres. L'opération a été lancée samedi matin à l'aube peu de temps avant que l'ultimatum lancé par le commando n'expire. Ce dernier avait menacé de tuer des otages, si samedi vers six heures, le Kremlin n'avait pas accepté le retrait de ses troupes de la république indépendantiste tchétchène. «Pardonnez-nous, nous n'avons pas pu sauver tout le monde», a par la suite déclaré dans la soirée le chef d'Etat russe ajoutant que cette libération des otages avait «prouvé qu'on ne peut pas mettre la Russie à genoux». Qualifiant les membres du commando tchétchène d'«ordures», Vladimir Poutine a estimé que «chacun comprenait qu'il fallait être prêt au pire». Le pire aurait-il pu être évité ? Selon des ex-otages, dont plusieurs centaines ont été hospitalisés pour blessures graves, les forces russes ont fait un trou dans un mur du bâtiment pour pénétrer dans le théâtre avant que le commando ne commence à tuer des captifs. Version en total contradiction avec celle des autorités qui ont affirmé être intervenues pour porter secours aux otages, après avoir entendu des tirs. Quant au gaz utilisé par les forces spéciales, Moscou a refusé de l'identifier après avoir dans un premier temps été jusqu'à nier son utilisation. Certains des otages ont pour leur part déclaré avoir ressenti de la fatigue et de la confusion. D'autres ont dit ne ne pas avoir vu de nuage de vapeur, ni senti de produit chimique. D'autres ont au contraire rapporté des étouffements et des vomissements. Dimanche, plusieurs experts militaires et toxicologues ont estimé que ce gaz pouvait contenir du valium, un puissant sédatif, ou une variété du gaz BZ, une drogue hallucinogène à l'effet plus lent. Selon le docteur américain Christopher Holstege, de l'université de Virginie, le valium aérosol, à doses suffisamment élevées, affecterait la respiration et la fourniture en oxygène des organes vitaux. «S'il a été administré dans un théâtre plein de gens armés de fusils et d'explosifs, il peut avoir rendu confuse leur notion des événements de façon qu'ils ne puissent pas tirer». Selon des experts français, il s'agirait plutôt d'un gaz asphyxiant de type CS (Chlorobenzylidène malonique). Puissant, il peut causer des brûlures de la peau et des yeux, des nausées et peut avoir des effets à long terme. Non mortel, il est souvent utilisé lors de manifestations ou d'émeutes. Saura-t-on un jour ce qu'ont vraiment utilisé les forces russes ? Les journaux nationaux et internationaux étaient dimanche très nombreux à faire part de leurs doutes. Quel le véritable nombre d'otages morts ? Quelles sont les raisons de leur décès ? Pourquoi les autorités ont-elles attendu samedi 17 heures pour reconnaître que du gaz avait été employé ? Pourquoi ne pas expliquer que les familles n'ont pas accès aux ex-otages parce que les médecins du FSB étudient les effets du gaz comme on le dit officieusement ? Si ces questions devaient rester sans réponse, la méthode Poutine pourrait bien jouer des tours au président.