Contrairement aux membres de l'instance équité et réconciliation, le pôle haraki a manifesté son désaccord à la diffusion télévisée des témoignages des victimes des années de plomb. Réserve juridique ou considération politique ? L'Instance Equité et Réconciliation (IER) compte lancer dans les prochains jours les fameuses audiences publiques des victimes des années de plomb entre 1956 et 1999. Prévu pour le 15 décembre 2004 à Rabat, le lancement de cette opération politico-médiatique, sera vraisemblablement retardé de quelques jours, "pour des raisons purement logistiques", assure-t-on auprès de l'IER. En tout cas, il est prévu que les témoignages soient diffusés, en direct, par la télévision nationale. C'est cette mesure qui semble déranger certains partis politiques, notamment ceux du pôle haraki. Le président de l'Union Démocratique, Bouazza Ikken, estime que "cette opération risque de ne pas donner les fruits escomptés". Tout d'abord, elle équivaut à "ouvrir des blessures qui étaient déjà cicatrisées car la majorité des Marocains ont commencé à oublier ces fameuses années de plomb". Ikken ajoute que "les cas ayant été soumis à la procédure judiciaire ne devraient pas faire l'objet de témoignages". En d'autres termes, il ne faut pas pointer du doigt les magistrats marocains, éventuellement manipulés par les pouvoirs politiques de l'époque. Pas question donc pour Ikken de parler de procès préfabriqués? Et pour cause, le président de l'UD a occupé pendant plusieurs années le poste de procureur général du Roi à la Cour d'appel de Casablanca. Même constat pour Mahjoubi Ahardane, le secrétaire général du Mouvement national populaire (MNP). Il a occupé au début des années 1960, le poste tant convoité de ministre de la Défense. Si les noms de ces responsables, ou même ceux de l'Istiqlal dans des évènements survenus au lendemain de l'indépendance, sont prononcés lors des audiences publiques, cela risquerait de porter atteinte à l'image de marque de leurs formations politiques. Surtout à l'aube des élections législatives de 2007. En outre, si une victime souhaite témoigner sur ses souffrances, "elle doit dire quelle est la personne qui la torturée par exemple", poursuit Ikken. Ce qui est quasiment impossible. Car la quasi-majorité des victimes ignore l'identité des bourreaux. En fait, le but affiché par l'IER dans l'organisation de ces audiences publiques n'est pas de condamner telle ou telle responsable. Il s'agit, certes de lever le voile sur une partie sombre de l'Histoire du Maroc. Mais la finalité est beaucoup plus d'exorciser les démons qui hantent l'esprit d'une bonne partie (pour ne pas dire la totalité) de ces victimes. D'où l'importance du suivi psychologique des témoins. Justement, hier, une réunion a eu lieu à Rabat entre les membres de l'IER et des médecins pour discuter de cet aspect psychologique. "Nous ne sommes pas contre l'initiative de l'IER, approuvée d'ailleurs par SM le Roi Mohammed VI", tient à préciser Ikken. Et d'ajouter: "Mais nous ne voulons pas qu'elle soit déviée de son objectif". Ikken propose, à ce titre, que "le Maroc se réconcilie avec son monde rural". En plus de la souffrance individuelle de telle ou telle personne, il s'agira de parler d'une souffrance collective, celle des habitants des campagnes marocaines. Une démarche qui n'a pas été prévue par l'IER, mais qui mérite réflexion. Car des voix se lèvent déjà dans le Rif pour exiger que cette région fasse l'objet d'un traitement spécial. Il s'agit là encore d'une souffrance collective. A noter enfin que la liste des témoins qui vont participer à ces audiences publiques sera finalisée une semaine environ avant le lancement de l'opération.