Des voix se lèvent pour critiquer l'initiative de l'Association marocaine des droits humains (ADMH) d'organiser des témoignages parallèles à ceux de l'Instance Équité et Réconciliation (IER). Les séances de témoignages organisées par l'Association marocaine des droits humains (AMDH) ont démarré à Rabat, le samedi 12 février, sous le slogan, "Témoignages en toute liberté". La période retenue est de 1956 à nos jours. D'anciennes victimes sont venues raconter leurs souffrances lors des années de disparitions forcées dont elles ont été victimes. Contrairement aux audiences organisées par l'Instance Equité et Réconciliation (IER), celles de l'AMDH ont permis aux victimes de divulguer les noms de leurs bourreaux. Toutes les personnes présentes à cette première séance ont reconnu que le témoignage le plus poignant a été, sans nul doute, celui de Idjimi El Ghalia, une Sahraouie arrêtée en 1987 au moment où elle préparait, aux côtés de plusieurs autres sahraouis, une manifestation en marge de la visite d'une délégation de l'ONU dans les provinces du Sud. El Ghalia a été libérée quatre ans plus tard, en 1991. Elle est passée par plusieurs centres de détentions, notamment le PC CIM de Laâyoune et la caserne El Bir dans la même ville. El Ghalia est également membre de l'Association des familles des personnes disparues. Lors de la séance de samedi dernier, d'autres personnes ont également témoigné. Il s'agit notamment d'Ahmed Benjelloun, avocat et dirigeant du PADS, ainsi que Fouad Abdelmoumni, vice-président de l'AMDH et directeur de l'association «Al Amana». Dans son témoignage, Abdelmoumni a insisté sur la question de la responsabilité. Pour lui, les différents corps sécuritaires (armée, police…) sont autant responsables que les départements de la Justice, de la Santé et de l'Administration de manière générale. Abdelmoumni va plus loin en incriminant également les médias, le Parlement et les partis politiques, coupables à ses yeux d'un "mutisme" que l'on peut aisément comparer à de la complicité ou du moins à de la démission. D'un autre côté, Jamal Chichaoui, ancien détenu politique, le plus jeune prévenu dans le procès de 1977 (groupe Serfaty), tout en reconnaissant l'intérêt de la démarche de l'AMDH, se demande quelle est sa plus-value. Il considère même que "l'AMDH fait de la surenchère politique car ceux qui la gèrent, le PADS et Annahj addimocrati, sont en panne de programmes". Pour lui, "l'IER a fait un excellent travail et justement son objectif est de clore ce dossier utilisé par certains comme un fonds de commerce". A cela, Abdelmoumni a répondu que "l'Etat doit assumer ses responsabilités et ne pas se contenter de donner la parole aux victimes". Par "responsabilité", Abdelmoumni entend deux choses. D'une part demander pardon à la société car des crimes ont été commis par l'Etat et en son nom. Selon lui, dédommager financièrement certaines victimes ne signifie justement pas faire acte de contrition. Pour ce qui est du deuxième volet, il a trait à la réforme politique. En ce sens qu'il faut instaurer "une véritable séparation des pouvoirs, sans sacralité aucune". Quant à Jamal Chichaoui, il estime que "la plus haute instance du pays a manifesté sa volonté de réparer les erreurs du passé et d'ouvrir une nouvelle page dans l'histoire du Maroc. Il faut saisir cette occasion et cesser toute surenchère". Le débat demeure ouvert. En attendant, trois autres séances de témoignages des victimes et de leurs proches seront organisées à Khénifra, Al Hoceima et Marrakech. Une séance de témoignages des femmes victimes de la répression se tiendra à l'occasion de la commémoration de la Journée mondiale de la femme. Une séance de témoignages des victimes de l'exil forcé sera organisée à Paris. Et enfin, l'AMDH organisera une séance de témoignages des avocats qui ont défendu les victimes, lors des procès politiques inéquitables qu'a connus le Maroc.