Mercredi, la Turquie était en retard au rendez-vous historique que s'était donné l'Union européenne. Les dix nouveaux membres, dont Chypre, ont été nommés. La Commission européenne a donné son aval mercredi à l'entrée de la Pologne, de la République tchèque, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Lettonie, de l'Estonie, de la Slovaquie, de la Slovénie, de Malte et de Chypre au sein de la future Union européenne. Un élargissement – 25 membres contre les 15 actuels – qui modifiera complètement le visage du vieux continent unifié avec des décennies de clivages est-ouest. «Il y a 13 ans encore, Berlin était divisé par le mur de la honte. Le mur est tombé, l'Allemagne a été réunifiée. Nous avons reconquis la liberté, nous avons retrouvé une unité historique entre tous les peuples d'Europe», a déclaré le président de la Commission, Romano Prodi. Ce mercredi, il y avait pourtant, parmi les candidats relégués, un grand déçu : la Turquie. Prétendant à l'Union depuis 1999, ce pays n'a même pas obtenu une date pour l'ouverture des négociations, décision plutôt mal vue du côté d'Ankara. Indigné, le président lui-même, Ahmet Necdet Sezer, a tenu à faire part de sa colère : «Nous attendons sincèrement de l'UE qu'elle agisse avec bon sens à Copenhague et réponde avec détermination à la volonté politique démontrée par la Turquie de s'intégrer». Reste que les efforts turcs concernant l'abolition de la peine de mort et l'octroi de droits culturels aux Kurdes en particulier, et plus largement sur les réformes démocratiques, ont été jugés insuffisants. «De façon générale, la Turquie a accompli des progrès remarquables (...) et plus particulièrement pendant l'année écoulée», soulignait le rapport d'évaluation. «Néanmoins, (elle) ne remplit pas pleinement les critères politiques» qui permettraient d'arrêter une date pour engager des pourparlers formels d'adhésion. L'UE a aussi critiqué la décision du Haut Conseil électoral turc d'écarter « le chef d'un parti politique important». Recep Tayyip Erdogan, dirigeant du Parti de la Justice et du Développement (AK, islamiste) a en effet été jugé inéligible pour le scrutin législatif anticipé du 3 novembre. L'UE a également rappelé Ankara à l'ordre sur le volet des réformes économiques, estimant «capital (pour la Turquie) de continuer à juguler la forte inflation chronique élevée et de maintenir la discipline fiscale». Vient enfin l'épineux problème de Chypre qui fait partie des admis au concours d'adhésion, et ce, malgré le fait qu'elle soit divisée depuis 1974. Mercredi, Bruxelles lui a demandé de poursuivre ses efforts pour résoudre cette crise d'ici la fin 2002. Tout en soulignant qu'un tel accord ne constituait pas «un préalable» à l'adhésion de Nicosie. C'est sur ce point qu'intervient Ankara, la partie nord de l'île étant contrôlée par les autorités turques alors que l'UE ne reconnaît que le gouvernement chypriote-grec, au sud. La Commission a invité la Turquie à «peser de tout son poids» pour un règlement des pourparlers intercommunautaires, le Chypriote-turc Rauf Denktash étant opposé à la proposition du Chypriote-grec Glafcos Cléridès, soutenu par l'ONU, de créer une Fédération avec deux provinces autonomes, régies par un gouvernement central. Déçue, Ankara est allée mercredi jusqu'à menacer de revoir ses relations avec l'UE. Ces dernières vont « inévitablement» souffrir en cas d'absence du fameux feu vert » des Quinze, a ainsi averti le chef de la diplomatie Sukru Sina Gurel. Et d'ajouter qu'«une autre formule ne serait pas valable pour nous». La Turquie a donc décidé de camper sur ses positions tout en portant ses espoirs sur le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, les 24 et 25 octobre à Bruxelles, et sur la réunion de Copenhague, les 12 et 13 décembre. Ce sont les deux dernières chances d'Ankara qui devra de son côté se montrer en bon élève lors des élections législatives organisées dans le pays, le 3 novembre prochain.