Mustapha Bourakkadi est un journaliste free-lance qui a cru dans l'affaire Al Najat en s'y engageant personnellement comme candidat. Mais quel a été grand son choc après s'être aperçu de l'arnaque ! Entretien. ALM : Quelles étaient vos premières impressions après l'annonce de l'offre d'Al Najat par l'ANAPEC ? M.Bourakkadi : Tout d'abord, cette annonce a été pour moi comme une sorte de lueur d'espoir en ce sens que, pour une fois, des mesures sérieuses ont été prises pour résorber, ne serait-ce que partiellement, ce fléau qui ronge notre société. Le taux de chômage galopant touche toutes les catégories sociales et non-seulement celle des diplômés comme on veut bien nous faire croire. Pour ma part, c'était une opportunité de quitter le pays à la régulière, mais aussi l'occasion de gagner ma vie honnêtement et surtout décemment, vu le niveau des salaires que le marché de travail offre au Maroc, et qui est de loin en dessous du coût réel de la vie. Le fait que cette opération ait été organisée par une agence nationale ne pouvait que lui donner une crédibilité certaine. - Que s'est-il passé par la suite ? J'ai suivi la procédure décrite dans l'annonce pour constituer mon dossier de candidature et me suis présenté aux locaux de l'ANAPEC de Ain Borja où se déroulaient les entretiens et les tests de maîtrise de la langue anglaise, qui est la langue d'usage des compagnies de transport maritimes en général. Une fois les tests passés, et le prix des analyses médicales payées, On m'a remis un reçu de la clinique Dar Essalam. Ensuite, je me suis présenté à ladite clinique pour subir les tests médicaux requis pour valider ma candidature. Ces opérations se sont passées, à mes yeux, correctement. D'autant plus que cette opération bénéficiait de l'aval tacite du gouvernement, sachant que monsieur le premier ministre était le président du conseil d'administration de l'ANAPEC. Une quinzaine de jours s'est écoulée, j'ai reçu l'appel de l'ANAPEC me demandant de me présenter à l'agence pour signature de contrat. Jusqu'ici tout va bien. Cela s'est fait normalement, et les employés de l'agence ont récupéré les copies de contrat «afin de les contre-signer par les différentes compagnies maritimes». Là nous sommes déjà à la mi-mai, et nous devions attendre la sortie des listes de départ pour la mi-août. - Pourtant la presse a tiré la sonnette d'alarme ! ! Oui mais vous étiez les seuls à en parler dans votre quotidien, et vous savez aussi bien que moi que nul n'est prophète dans son pays. Ajoutez à cela, la crédulité qu'engendre l'espoir d'une vie meilleure, mais aussi la campagne de démentis dans les autres médias qui discréditaient votre démarche. Plus encore, le ministre de l'emploi en personne cautionne l'opération en direct et en prime time. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? - Et après l'arrivée de la date fixée pour le départ. Mi-août ? L'attente devenait chaque jour un peu plus lourde. J'ai contacté l'agence à plusieurs reprises pour être fixé. Des demoiselles de l'agence se sont fait un plaisir de me rassurer, que les listes des différents contingents allaient arriver incessamment, et que je devais consulter régulièrement le site web de l'ANAPEC pour voir si mon nom figurait sur l'une des listes. A ce moment-là le doute s'est installé de manière définitive dans mon esprit, et mon scepticisme habituel est remonté à la surface. J'ai utilisé mes contacts dans les coulisses du ministère de l'emploi pour me rendre compte que tout ceci était une arnaque gigantesque. Ce que je n'arrivais pas à admettre, c'est la désinvolture (ou la mauvaise fois) avec laquelle cette opération a été menée, surtout lorsque j'ai su que l'ambassadeur du Maroc aux E.A.U avait envoyé une lettre officielle au ministère de l'emploi en juin 2002 déjà, émettant des doutes sur la probité des dirigeants de la compagnie AL Najat. Cependant, mon nom figurait sur la liste du troisième contingent et j'ai voulu en avoir le cœur net. Je me présente à l'agence, on me remet un reçu pour effectuer une «contre-visite» apparemment réclamée par l'employeur hypothétique et à la même clinique ! ! une simple prise de sang et le tour est joué… J'apprends ensuite par la presse que le directeur d'Al Najat, un certain Ali Basha avait disparu. La suite, vous la connaissez. -A qui incombe la responsabilité selon- vous ? Cette affaire, à mon humble avis, engage la responsabilité du gouvernement sortant. En ce sens que le manque de prudence, pour ne pas dire la mauvaise foi, est patent. La déclaration largement médiatisée d'un membre dudit gouvernement montre un degré inadmissible d'irresponsabilité vue la nature des missions qui lui incombent (ils auraient dû au moins vérifier la véracité de la série d'articles que vous avez publiés à ce sujet.). D'autant plus que la déclaration du directeur de l'ANAPEC, montre à quel point nos «responsables» se moquent éperdument de ce que le peuple peut penser d'eux. Là, je pose la question suivante : Si l'un de vos enfants (messieurs les responsables) s'était engagé dans cette affaire pourriez-vous lui demander encore de vous faire confiance ? ! Peut-on dire que l'affaire pourrait être considérée comme réglée si vous êtes dédommagés ? Non, car notre confiance a été sérieusement entamée, notre intelligence insultée, notre temps perdu, notre dignité bafouée et tout dédommagement matériel ne pourrait qu'enfoncer encore plus les responsables de cette histoire. Lorsque le verre est brisé, peut-on en recoller les morceaux ?A mon sens, les responsables de cette histoire devraient en répondre devant une cour de justice.