Le leader sait cultiver le sens de la démesure quand elle lui sert à récupérer des militants-députés réfractaires essentiels pour le décompte final. La déclaration à chaud du leader du parti de l'Istiqlal, Abbas El Fassi, juste après l'annonce des premiers résultats provisoires des Législatives, restera dans les annales de la politique programmée. Le Zaim a anticipé à la victoire des Istiqlaliens en récusant les chiffres annoncés par le ministre de l'Intérieur pour gonfler ceux de son parti. Il a déclaré, sans ambages, que le PI est le premier parti du Maroc si l'on ajoute au nombre de sièges qu'il a obtenu ceux de trois ou quatre députés qui se sont présentés sous la bannière d'autres partis. Il fallait beaucoup de courage pour le dire. Et de signer son mea culpa en reconnaissant que ces Istiqlaliens de souche ont fui le parti pour injustice ou erreurs commises au cours de la procédure d'investiture des candidats. Le leader sait cultiver le sens de la démesure quand elle sert à récupérer des militants- députés réfractaires essentiels pour le décompte final. Qu'importe la volonté des électeurs qui ont voté pour une liste d'un parti et qui se retrouvent sans les députés qu'ils ont choisis. C'est dire que la transhumance qui s'opère en principe au cours de la législature était cette fois-ci programmée avant les élections. Ce n'est pas une spécificité istiqlalienne , bien au contraire, sauf qu'Abbas El Fassi a été plus rapide pour dégainer et tirer en l'air. Face à cette marée humaine, certains partis ont donné un quitus aux candidats recalés pour qu'ils courent sous d'autres couleurs avant de regagner le bercail en cas de victoire. Aussi la plupart des secrétariats de partis ont tenu à jour un fichier dans lequel ils tiennent la comptabilité réelle de leur entreprise électorale. Le flux et le reflux devaient passer à travers l'Istiqlal, l'UC, le RNI, l'Union démocratique, voire entre les filets béats des mouvements populaires. Aucun des dirigeants ne s'est embarrassé devant cette imposture, bien au contraire, tout clame publiquement le reliquat des députés qu'il a prêtés à d'autres partis. Le secrétaire général de l'UD, Bouazza Ikken, comptait bien sur l'apport de trois ou quatre députés. Les tractations vont bon train jusqu'à ce jour pour que les partis puissent établir les écarts entre le prévisionnel et le réel. En football, un club prête un joueur à un autre pour un an, en politique marocaine, le député est prêté pour les quinze jours que dure la campagne éléctorale. Le casse-tête de tête de liste est ainsi résolu sans heurts, sauf que la morale tout court et la morale politique en prennent un coup dur. Le président du groupe parlementaire du PJD, Mustapha Ramid, ne mâche pas ses mots en commentant ce phénomène : « Je pourrais comprendre qu'un député change de formation après un an ou deux ans de législature quand il s'aperçoit que la ligne suivie par son parti dévie du chemin initial. Mais que cela se passe juste après les élections, je considère que c'est une atteinte à la morale et à l'éthique politique. Mais il ne faut pas se leurrer, la responsabilité de ce dérapage est partagée par le parti qui prête le député et celui qui le parraine pendant les élections ». Mustapha Ramid compare cette hérésie politique à une course contre la montre à la recherche d'une majorité qui mène au pouvoir. Il a tout à fait raison quand on sait que le dirigeant d'un parti vieux dans l'opposition a engagé, en catimini, des pourparlers avec des partis de droite pour former un gouvernement. Le PND et le MDS ont été contactés par des émissaires du leader de ce parti. C'est dire que l'épidémie de la transhumance s'est propagée jusqu'à emporter les principes et les idées pour que l'on s'allie avec celui que l'on a toujours traité comme le diable. C'est dire que la transhumance est par définition trop libérale pour qu'elle puisse s'apparenter à un quelconque conservatisme.