L'annonce des résultats partiels des élections législatives a délié les langues de certains leaders de partis politiques. Certains ont réagi dans le bon sens, d'autres ont versé dans la spéculation voire dans la précipitation et dans des jugements sans fondement. Les arguments des uns et des autres diffèrent selon leur nouveau positionnement sur l'échiquier politique. Certains ont été tellement surexcités par les sièges obtenus qu'ils ont mis en doute les chiffres donnés par le ministère de l'intérieur pour faire prévaloir les leurs. Plus élevés évidemment. D'autres ont poussé carrément le bouchon plus loin et haut en évoquant une falsification des résultats qui ne correspondent pas à leurs décomptes. Les dirigeants d'un parti, qui a réussi une remontée substantielle, ont été grisés par ce score au point qu'ils ont commencé à anticiper sur leur programme ... gouvernemental. Il est normal que des résultats provisoires donnent des ailes à certains, mais rien ne justifie une anticipation hasardeuse sur des résultats définitifs encore inconnus. Curieusement, les dirigeants de l'USFP, qui arrive en tête, n'ont jubilé, outre mesure, en s'abstenant de faire des déclarations pompeuses. Par contre le leader du parti de l'Istiqlal, Abbas El Fassi, n'a pas lésiné sur les mots pour s'ériger en premier parti du Maroc sur la base d'arguments spéculatifs : «Nous sommes le premier parti du Maroc. Nos calculs précis, qui différent de ce qui a été déclaré par le ministre de l'intérieur montrent que le parti de l'Istiqlal a obtenu jusqu'à présent 46 sièges et que nous allons gagner dans au moins cinq des dix autres circonscriptions». Cette attaque serait de bonne guerre si on était encore dans l'ancien système où les résultats ne dépendaient pas des urnes mais de la bonne volonté des décideurs falsificateurs. Mais, en 2002, la donne a changé. À preuve, Abbas El Fassi fait le mea culpa de son parti pour faire revenir des dissidents qui ont gagné d'autres couleurs : «Nous envisageons l'avenir avec optimisme puisque certains militants qui se sont présentés au nom d'autres partis, à cause d'une injustice ou d'une erreur aux plans local ou central, vont revenir...» Le dirigeant du mouvement populaire est plus subtil, comme à son habitude, quand il compare le décompte de son parti avec celui du ministère de l'intérieur : «Je crois que le ministre de l'Intérieur, Driss jettou, a insisté sur le fait que ces données ne sont pas encore officielles et pourraient changer. Cela rejoint les observations exprimées par les candidats du MP dans plusieurs circonscriptions électorales d'où nous sont parvenus des correspondances indiquant qu'ils ont été élus, sur la base des procès-verbaux qui leur ont été remis au niveau des bureaux de vote. Ils ont été cependant surpris d'apprendre qu'ils n'ont pas été élus lorsque ces mêmes P.V sont arrivés aux préfectures et provinces où ils se sont fait opposer des justifications faisant état de certaines erreurs». Cela ressemble à une falsification pure et dure de l'ancien système mais dite autrement dans la bouche de Laenser. Sauf que ce dernier finit par enfoncer le couteau dans la plaie en faisant prévaloir la probabilité de l'irrégularité sur celle de l'erreur. De son côté, le PJD, qui a surpris tout le monde par son score mais qui, par rapport au niveau national ne représente que 10 % des suffrages, a réagi par deux voix. L'une du secrétaire général-adjoint du parti, Saad Eddine Othmani, correspond aux propos modérés du parti : «Les élections législatives du 27 septembre constituent une évolution partielle et relative mais importante par rapport aux précédentes consultations électorales». Mais le chef du groupe parlementaire du PJD, M. Ramid, a surpris par une déclaration à l'Associated Press. C'est à croire que cette victoire relative a influencé fortement cet avocat au verbe facile et pondéré pour verser dans la contradiction. D'un côté il affirme : «Nous sommes réalistes et modérés, il n'y a rien à craindre de nous, nous travaillerons légitimement à l'intérieur du système». Et d'un coup, Ramid brûle toutes les étapes de sa sagacité et de sa diplomatie pour lancer cette bombe : «A long terme, nous sommes pour l'application de la Charia, y compris pour l'amputation des voleurs ». Dans tous les cas, il a tout amputé de sa modération. Le réalisme, on le trouve dans la réaction du secrétaire général de l'UC, Mohamed Abied, qui, malgré un échec cuisant de son parti, ne jette l'anathème sur personne : «Puisque les élections ont été honnêtes et transparentes, nous n'allons pas nous enliser dans le bourbier des recours, mais nous devons travailler à l'avenir pour améliorer notre score». Mahjoubi Aherdane du MNP a justifié le score de son parti par le nombre de bulletins nuls dus selon lui à la méconnaissance des électeurs. C'est plausible. Ce qui ne l'est par contre, c'est le raisonnement de Fathallah Arsalane porte parole du mouvement' «Al adl oual Ihssane». On sait très bien que lui et ses pairs n'aiment pas le PJD et que les militants de ce dernier le leur rendent bien. Mais de là à dire que le score du PJD ne sera d'aucun impact sur la vie politique nationale parce que la Constitution prive le gouvernement de ses prérogatives, c'est verser dans l'incohérence. Quand on est hors jeu, on ne participe pas à l'action.