Le leader de l'Istiqlal a construit toute la stratégie électorale de son parti par rapport à l'USFP. Objectif : accéder à la primature et chasser ce dernier du temple gouvernemental… Il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Abbas El Fassi doit maintenant méditer ce dicton qui correspond un peu à son cas de leader d'une grande formation politique. Le patron de l'Istiqlal a élaboré la stratégie électorale de son parti en fonction d'un seul objectif : l'USFP. Il s'agissait pour M. El Fassi de damer le pion à ce frère-ennemi pour réaliser une ambition personnelle : accéder à la primature. Ah la primature ! Une obsession. L'Istiqlal n'a jamais avalé le fait que celle-ci lui ait échappé en 1998 au profit d'Abderrahmane Youssoufi. C'est comme quelque chose qui vous reste en travers de la gorge. Depuis, l'Istiqlal ne vivra que dans l'espoir de prendre sa revanche. Les élections législatives du 27 septembre 2002 lui offriront peut-être l'occasion de reprendre la main. La haute main sur le futur gouvernement. Le fameux “soutien critique“ de l'action gouvernementale, inventé par Abbas El Fassi, visait en fait à discréditer la locomotive du gouvernement qui n'est autre que l'USFP dans la perspective des prochaines échéances et de préparer la marche de l'Istiqlal comme recours vers la reconquête du pouvoir. Lorsque Abbas El Fassi a décrété la fin de l'alternance consensuelle lors d'une conférence de presse à Rabat quelques semaines avant le début de la campagne électorale, il savait ce qu'il disait. Cette déclaration sonnait comme l'aboutissement de sa stratégie politique longuement mitonnée. Ce jour-là, il n'a pas été jusqu'à annoncer publiquement ce qu'il disait en privé depuis des mois: l'USFP doit aller à l'opposition, arguant que sa gestion des affaires du pays n'était pas concluante. Pour arriver à ses fins et boter l'adversaire hors du temple gouvernemental, il fallait rafler plus de sièges que lui lors des législatives de façon à s'imposer comme meneur des négociations en vue de la formation du nouveau gouvernement. N'étant pas certain de pouvoir réaliser une performance électorale à la mesure de ses ambitions en comptant seulement sur ses propres forces, l'Istiqlal nouera dans le secret des accords électoraux avec le PJD. Sens du deal: ce parti donnera à ses militants des consignes de vote là où il n'a pas présenté de listes pour faire profiter de leurs suffrages les candidats Istiqlaliens. En guise de récompense pour son geste inestimable, l'Istiqlal fera du PJD, le cas échéant, son principal allié dans le futur gouvernement. Adossé à un parti qui s'apparente à une véritable machine à égrener les votes, misant sur la sanction populaire des candidats USFP, l'Istiqlal était certain de décrocher le gros lot politique. Ambition contrariée. Il s'en est fallu de peu pour qu'il soit la première force du pays en termes de sièges. Mais l'USFP est venu finalement en tête avec 50 députés. Dès lors, tous les calculs de l'Istiqlal tomberont à l'eau. Malgré cela, le parti n'en démodera pas. Estimant que la différence de deux sièges ne qualifie pas l'USFP à briguer de nouveau la primature, l'Istiqlal ira jusqu'à s'ériger en pivot d'une majorité éventuelle avec le PJD et le MP-MNP comme alliés. La suite est connue. Contre toute attente, S.M le Roi nomme Driss Jettou au poste de Premier ministre. À trop vouloir forcer le destin, l'Istiqlal est tombé de tout son haut. Le scandale des 30.000 emplois fictifs fera le reste. Certes, le plus vieux parti du Maroc a progressé en termes de sièges par rapport aux législatives de 1997, mais il a perdu en prestige et en influence. Résultat : il adopte à son corps défendant un profil bas tout au long des consultations de Driss Jettou. Chez les Istiqlaliens, le malaise est patent. Celui qui se voyait Premier ministre révise ses ambitions à la baisse. Ne renoncera-t-il pas à son appétence pour la présidence du Parlement après avoir perdu tout espoir d'être chef de gouvernement ? De concession en reculade, l'Istiqlal a fini par renvoyer une image brouillée. Celle d'un parti pris dans son propre piège. Cadenassé dans une posture inconfortable, se sentant poussé vers la porte de l'opposition, il ne cherche désormais qu'à s'assurer une place dans le cabinet Jettou. Comme gage de sa bonne volonté vis-à-vis du Premier ministre désigné et des dirigeants de l'USFP, il exigera de ses parlementaires de voter comme des godillots pour Abdelouahed Radi. “Vendu“ comme un signe de réconciliation des frères-ennemis, le vote istiqlalien a pour l'USFP le goût d'une belle victoire sur son adversaire le plus acharné.