Rébellion ou véritable soulèvement ? Les rebelles ivoiriens, de plus en plus organisés, ont annoncé mardi vouloir renverser le régime dans le but de pacifier le pays déchiré par des rivalités ethniques qui perdurent encore. Mardi, les mutins ont avancé vers le sud où avec l'intention avouée de reprendre Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire et théâtre du premier soulèvement le 20 septembre dernier. Accusés de tentative de putsch puis présentés comme une rebellion sans caractère politique, ces hommes ont d'ailleurs clarifié leur objectif : renverser le régime actuel du président Laurent Gbagbo. But premier de cette mutinerie ? Revirement de situation au vu de l'inefficacité des forces loyalistes ? Leurre ? La confusion générale ne permettant toujours pas aux observateurs d'apporter une analyse claire sur la crise ivoirienne, les spéculations en sont réduites au déroulement des faits sur le terrain. Et dans le nord, le centre et le sud, les mutins semblaient ces derniers jours progresser avec, parfois, le soutien de la population locale. Séguéla, entre Bouaké et la frontière guinéenne, est tombée mardi après-midi entre leurs mains, de même que -selon des habitants de ces villes- Kani, à une cinquantaine de kilomètres plus au nord. Sakassou, au sud-ouest de Bouaké, est déjà sous leur contrôle depuis dimanche. Les mutins ont d'ailleurs affirmé contrôler pas moins de 40 % du territoire ivoirien, information non vérifiée. «C'est un passage obligé pour nous de renverser le régime du président Gbagbo pour restaurer la justice, la paix et l'égalité entre tous les fils de la Côte d'Ivoire», a déclaré mardi à Bouaké celui qui s'est présenté comme le chef national des rebelles, le «lieutenant Elinder». Fait nouveau, les mutins ont aussi annoncé être rassemblés autour d'une structure politique, le Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). Avec un «programme» : mettre fin à la discrimination au sein de ce pays de 16 millions d'habitants qui cohabitent trop difficilement. Le lieutenant Elinder a ajouté que, si lui et ses fidèles accédaient au pouvoir, ils organiseraient de nouvelles élections pour effacer celles de 2000, qui avaient donné lieu à des émeutes meurtrières entre les différentes communautés du pays. Dès le début du soulèvement, il y a deux semaines, la question ethnique a d'ailleurs été au cœur des querelles et des tensions. Les propos mêmes du président, adepte de l'«ivoirité», qui avait parlé d'une conspiration venue de l'étranger et appelé au nettoyage des perturbateurs, étaient venus envenimer la situation. A Abidjan, selon l'ONUI, 6.000 immigrés, pour la plupart des Burkinabé pris pour boucs émissaires, ont ainsi été expulsés de leurs logements incendiés et saccagés, depuis le 19 septembre. Lundi, des fonctionnaires et membres des forces de sécurité ont encore mis le feu à des centaines de taudis d'immigrés dans un quartier populaire de la ville. Le ministre burkinabé de la Coopération régionale, Jean de Dieu Somda, a aussi déploré mardi soir des «enlèvements» et des «disparitions» de ressortissants burkinabé «sur l'ensemble du territoire ivoirien». Il a par ailleurs affirmé que son pays est «prêt à épauler la Côte d'Ivoire et à l'aider, mais pour ce faire, il faut que cette fixation (contre le Burkina) cesse et qu'on puisse se tourner vers la recherche de la paix». Une autre fixation des Ivoiriens -dans une moindre mesure- semblait prendre de l'ampleur à l'égard de la France. Plusieurs marches ont en effet été organisées à Abidjan, d'abord pour protester contre la présence du leader de l'opposition, Allassane Ouattara dans les murs de l'Ambassade de France, ensuite pour dénoncer la passivité présumée des forces hexagonales face aux mutins. Présente à hauteur d'un millier de soldats, l'armée française a ensuite été accusée par les rebelles de «bloquer» leurs opérations. Le lieutenant Elinder lui a ainsi demandé mardi de «respecter une stricte neutralité». «On ne voudrait pas que la France s'ingère dans ce problème strictement ivoirien», a-t-il poursuivi estimant que «les troupes françaises avaient (pour) mission (de)sécuriser les ressortissants français et étrangers. Nous n'avons pas de problème avec ça et nous les avons même aidés à Bouaké». Depuis cette évacuation, la France a toutefois maintenu quelques détachements autour de la ville, et répété qu'elle soutenait le président Gbagbo dans cette crise.