Sans surprise, le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali devrait se succéder à lui-même, à l'issue des présidentielles qui auront lieu le dimanche 24 octobre en Tunisie. Les élections législatives se dérouleront le même jour. Les affiches des quatre candidats aux élections présidentielles en Tunisie font déjà la différence. Alors que trois candidats sont représentés avec la mention de leur nom et celle de leur parti, l'affiche du président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, est exempte de mots. C'est une icône. Personne en Tunisie n'a le moindre doute sur l'issue du scrutin du 24 octobre. Le président tunisien succédera pour la quatrième fois à lui-même avec un score qui tient du plébiscite. Même les trois candidats qui se présentent contre lui reconnaissent l'inexistence de leurs chances. Il s'agit de Mohamed Ali El Halouani, Mounir Beji et Mohamed Bouchiha. Ce dernier, secrétaire général du Parti de l'Unité populaire (PUP), indique à ALM : «Nous n'accordons aucun intérêt aux résultats des présidentielles. Ce qui nous importe, c'est d'ancrer une culture pluraliste dans le champ politique tunisien». Ce pluralisme se constate dans les huit partis qui se disputent les élections législatives qui auront lieu, également dimanche prochain. Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), que préside Zine El Abidine Ben Ali, dispose d'une large majorité à la Chambre des députés : 149 sièges sur un total de 182. Il devrait les conserver. Cinq formations d'opposition se partagent les 33 sièges restants de la façon suivante: PUP (7 députés), Mouvement des démocrates socialistes (MDS, 12 députés), Union démocratique unioniste (UDU, 7 députés), Ettajdid (5 députés) et le Parti social libéral (PSL, 2 députés). En plus des six partis qui disposent déjà de sièges au Parlement, deux autres formations ont présenté des candidats aux législatives : le Parti démocratique progressiste (PDP) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL). Toutefois, le pluralisme des candidats aux présidentielles et aux législatives ne déchaîne pas les passions dans la rue. La campagne se déroule dans le calme absolu. Les rues de Tunis sont d'une propreté irréprochable. On n'y rencontre pas d'espaces recouverts d'affiches multicolores. Pas de défilés de voitures. Pas de candidats qui vont à la rencontre des populations. Pas d'attroupement. A l'exception de quelques très rares meetings, organisés dans des salles de fêtes, la campagne électorale est seulement visible dans les affiches collées dans des espaces réservés à cet usage et dans les devantures de certains commerces qui proclament un soutien appuyé à la candidature du président Ben Ali. Il en est ainsi du café La Fontaine qui est orné d'une dizaine de drapeaux de Tunisie, de portraits du président Ben Ali et de banderoles où sont inscrits des slogans du programme de sa campagne. Ce programme repose sur 21 points, basés essentiellement sur l'emploi, la croissance et la modernisation de l'économie. Il faut dire que les acquis de la Tunisie, en matière de développement économique et de couverture sociale, sont impressionnants. Ils lui valent d'ailleurs les éloges des responsables du PNUD et du FMI. Les infrastructures, le logement salubre et le revenu par habitant distinguent ce pays, d'une population de 9,7 millions habitants, des autres pays d'Afrique du Nord. Selon les chiffres officiels, la classe moyenne représente 80% de la population, 80% des familles sont propriétaires de leur logement et la pauvreté ne touche que 4%. Certains dirigeants occidentaux n'hésitent pas à parler de «miracle tunisien». Ce niveau de vie est maintenu par un Fonds de solidarité nationale qui profite aux tranches défavorisées de la population par l'octroi de dons et de prêts en vue de développer des activités génératrices de revenus. L'essor économique «rend très populaire le parti du président auprès des Tunisiennes et des Tunisiens», indique à ALM un journaliste tunisien. Il explique que les adhérents du RCD dépassent les deux millions, tandis que le plus grand parti d'opposition «n'a pas plus de 20 000 sympathisants». Il ajoute qu'en dépit de «tout ce qu'on peut lire ici et là sur la situation des droits de l'Homme en Tunisie, les Tunisiens votent dans leur quasi-totalité pour Zine El Abidine Ben Ali, parce qu'ils lui savent gré du développement du pays». Ce constat est nuancé par Mohamed Ali El Halouani – candidat du parti Attajdid aux élections présidentielles. Ce professeur de philosophie tient un discours critique sur le régime. Il précise à ALM : «La société tunisienne est prise en charge par un parti unique, le RCD. Ce parti unique est si bien imbriqué dans l'administration qu'il existe une totale osmose entre la politique partisane et la gestion de l'Etat. Et de ce fait, il y a un fort courant populiste qui fait que les pauvres et tous les mécontents se sentent pris en charge par ce parti». Par ailleurs, le développement économique n'est pas le seul motif de fierté de la Tunisie. Il y a évidemment la réelle liberté de la femme. Elle est partout, prend part à toutes les activités. A ce sujet, le RCD est le parti qui présente le plus de candidats femmes aux élections législatives. Sur 152 candidats, 38 sont des femmes. Dans la rue, on ne voit pratiquement pas de femmes portant le voile. Le régime tunisien semble avoir réussi son pari de la modernité sans exacerber de résistances. Les signes de tolérance religieuse sont de surcroît manifestes jusque dans ce mois de Ramadan. Le moindre des traits distinctifs de ce pays consiste à constater le nombre de cafés ouverts pendant la période de jeûne. Le plus remarquable de tous se trouve dans un passage donnant sur l'avenue Bourguiba. On voit d'abord une charpente en métal entourée d'un immense tissu de velours pourpre. Des personnes s'introduisent à l'intérieur de la charpente en soulevant un pan de l'étoffe d'une couleur impériale. Le curieux qui voudrait les suivre découvre un spectacle surprenant: un nuage de fumée coiffe une centaine de personnes attablées. Certaines discutent, d'autres regardent une chaîne satellitaire arabe en commentant les images. Dans le brouhaha, les mots Irak, Israël, Bush, Kerry sont distincts. Les personnes attablées parlent de tout, sauf des élections présidentielles et législatives en Tunisie. • Par Aziz Daki DNES à Tunis