• La Chambre administrative près la Cour suprême devrait se pencher demain sur le litige opposant l'Association des biscuiteries, chocolatiers et confiseries au gouvernement au sujet de la décision prise par ce dernier les obligeant à restituer à la Caisse de compensation la somme de 2000 Dhs par tonne de sucre. • Les arguments juridiques déployés par les plaignants avaient été jugés recevables par les magistrats de la Cour suprême. Or, l'administration a mis tout son poids dans la balance pour revenir sur le sursis à exécution de cette taxation. Les industriels dénoncent, quant à eux, le caractère illégal d'un impôt qui ne dit pas son nom. L'affaire de l'imposition du sucre a usage industriel devrait être plaidé demain devant la justice. L'Association des biscuiteries-chocolatiers- confiseries (AB2C), les sociétés Cahimsa et Feeding avaient dénoncé puis saisi les tribunaux au sujet du caractère illégal de l'institution “d'un prélèvement compensatoire au profit de la Caisse de compensation sur les produits contenant du sucre subventionné“ qui devait être opéré en trois temps : 667 Dhs la tonne à partir du 1er janvier 1999, 1.334 Dhs la tonne le 1er juillet 1999 et 2.000 Dhs la tonne à compter du 1er janvier 2000. Cette taxation, objet d'une décision datant du 30 août 1996, a été introduite sous le gouvernement Youssoufi par Ahmed Lahlimi Alami, alors ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Affaires générales du gouvernement. Les plaignants, assistés par leurs avocats du barreau de Casablanca, ont déposé une requête datée du 25 mars 2004 devant de la Chambre administrative près la Cour suprême à Rabat. L'affaire a été jugée sur la forme le 16 juin 2004 en attendant de plaider dans le fond. Estimant que la plainte est recevable, les juges ordonnent la suspension de la décision gouvernementale litigieuse. Ce qui équivaut à une condamnation de l'État. Seulement voilà. Les choses ne resteront pas là. Dès que le jugement fut connu, l'administration marocaine, mauvaise perdante, s'est mise en branle dans l'espoir d'influer sur le cours de la justice. Coïncidence ou pas, les magistrats qui ont statué sur le différend seront remplacés par d'autres. Et la date de la prochaine audience a été fixée au 13 octobre. Nous sommes en face d'un dossier truffé de maladresses et de contradictions. D'abord, le chef du gouvernement s'est substitué dans cette affaire au Conseil d'administration de la Caisse de compensation sans que ce dernier ne le mandate de manière claire et sans que la décision prise ne soit motivée par des circonstances exceptionnelles ou de force majeure. Ensuite, cette décision de prélèvement a été prise en violation des dispositions de l'article 17 de la Constitution qui stipulent que de telles mesures sont instituées par la loi. Autrement dit, la Caisse de compensation, dont le rôle est la réglementation des prix et non la création de ponctions en sa faveur, n'a aucune latitude d'instaurer des prélèvements de quelque nature que ce soit aux citoyens sans leur consentement a fortiori à leur place. Enfin, le sucre est vendu aux particuliers sur le marché national au prix subventionné (3,77 Dhs le kilo) tandis que les entreprises taxées sont obligées, selon la décision Lahlimi de restituer la somme de 2.000 Dh la tonne. Ce qui fait que le prix du sucre leur revient en vérité à 5,77 Dhs. Cet état de fait porte évidemment atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi. Ce sont ces arguments que la partie s'estimant lésée a produits devant la Chambre administrative près la Cour suprême. Une autre anomalie concerne la liste attribuée au Conseil d'administration de la Caisse de compensation en date du 10 mars 1999 et signée par le ministre de l'Économie et des Finances. Rien d'anormal sauf que cette décision s'est retrouvée publiée dans le Bulletin officiel du lendemain 11 mars 1999. Quelle rapidité ! Ce n'est pas fini. Cette liste magique intitulée “Résolution unique“ mentionne les secteurs industriels concernés par le prélèvement: les industries des boissons sucrées gazeuses et non gazeuses, les chocolateries, les biscuiteries, les confiseries, les conserveries de fruits, les industries de dérivés de lait, les industries de crèmes glacées et les pâtisseries industrielles. Or, ce dernier secteur, gros consommateur de sucre, a disparu d'un document ultérieur portant institution de cette ponction. Par quelle magie les pâtisseries industrielles ont-elles été sucrées ? Motus et bouche cousue! “Au nom de quel droit on sucre les uns et on se sucre sur le dos des autres ?“, s'interroge un confiseur en colère. Sûrs de leur bon droit, les plaignants comptent aller jusqu'au bout dans une affaire où les pouvoirs publics touillent visiblement la mélasse de l'illégalité et de l'injustice ne serait-ce que parce que le sucre est disponible sur la marché international à près de 2 Dhs le kilo, soit à des prix beaucoup moins chers que le sucre de la Cosumar . Rien ne justifie d'assujettir à un impôt qui ne dit pas son nom des pans entiers de l'économie nationale où cette matière entre dans le processus de fabrication, sinon la volonté de maintenir, sous perfusion à coups de subventions et contre toute logique économique, une filière sucrière en crise depuis des lustres. Mais ceci ne doit pas se faire au détriment des intérêts d'une multitude d'industries qui, ainsi taxée, aura du mal à assurer sa compétitivité, voire sa survie face à une concurrence étrangère de plus en plus féroce. C'est là, la forme et le fond d'un problème que la justice, qui a donné raison aux industriels en suspendant la mesure Lahlimi, doit trancher dans les jours à venir dans la sérénité requise. Elle aura le choix entre deux choses : tuer confiseurs et autres biscuiteries avec tout ce que cela peut entraîner comme coût économique et social ou continuer à maintenir superficiellement en vie un secteur sucrier et betteravier budgétivore qui a besoin en fait d'une décision politique courageuse de la part des pouvoirs publics.