• En l'espace d'un mois, trois personnes sont décédées des suite de morsures de chiens enragés. La dernière victime est un sexagénaire originaire de Benslimane. Ces drames à répétition soulignent la gravité du problème. • Réagissant à ce phénomème, le directeur de l'Institut Pasteur déclare que mourir de la rage de nos jours est une honte. Les autorités, elles, reconnaissent la difficulté de mettre en place la logistique pour combattre ce fléau. Est-ce un problème de santé publique ou non ? Depuis l'agitation provoquée par un chiot marocain, atteint de la rage et introduit clandestinement en France, la version humaine de la maladie préoccupe de nouveau chez nous. Les nouvelles ne sont guère rassurantes : trois décès dans l'intervalle d'un mois. Dans les trois cas, les victimes ont été mordues par des chiens marocains. La première victime est morte à Souk El Arbâa. La deuxième, un touriste autrichien mordu dans l'Atlas, a développé la maladie et décédé à Vienne. Et mardi dernier, un sexagénaire est mort à Benslimane, suite à une morsure dont il a minimisé les conséquences. Les avis des spécialistes divergent sur la question. Selon le docteur Nourredine Bouchrit, virologue responsable du laboratoire de la rage humaine à l'Institut Pasteur de Casablanca, «la rage n'est pas un problème de santé publique au Maroc». «Faux !», rétorque le professeur Mohamed Hassar, directeur de l'Institut Pasteur du Maroc. «C'est un véritable problème de santé dans notre pays», affirme-t-il. Qui croire ? Le premier en appelle à la loi des chiffres : 20 à 25 cas humains meurent par an au Maroc. «A titre de comparaison, la tuberculose tue des milliers de personnes», explique le dr. Bouchrit. Le second ne renie pas ces chiffres, mais en appelle au bon-sens. «Vous n'avez qu'à vous promener dans nos villes et campagnes pour voir le nombre de chiens errants tous considérés comme potentiellement enragés et nécessitant un traitement de toute personne mordue, griffée ou léchée sur une peau lésée ou une muqueuse». Le docteur Bouchrit met en avant le vaccin antirabique, de dernière génération, disponible au Maroc et mis gratuitement à la disposition des patients. «Il est gratuit et coûte à l'Etat en moyenne 500 DH, compte tenu des quatre doses obligatoires pour empêcher la maladie de se déclarer». Le professeur Hassar ne le contredit pas: «ce traitement s'il est gratuit pour le patient représente un coût important pour les communes». Le professeur Hassar déplore l'argent investi dans le vaccin antirabique. «On voudrait bien faire autre chose avec cet argent si on éliminait le risque de rage dans notre pays, au moins dans les villes où le contrôle des chiens et autres animaux est plus facile.» Il préconise à cet égard «l'éradication» des chiens errants et la mise en place d'un dispositif de «traçablité» pour les chiens domestiques. «Ce n'est pas simple», explique le docteur Bouchrit. L'abattage des chiens errants nécessite une logistique dont ne dispose pas le Maroc. Les équipes qui partent à la chasse des chiens le font dans des conditions de sécurité quasi-inexistantes. La capture du chien tourne souvent au face-à-face entre l'agent équipé d'un lasso, tenu à la pointe d'une tige, et la bête qui peut à tout moment mordre son chasseur. Sans parler de la rareté de véhicules appropriés à ce type d'opérations, ainsi que de l'étroitesse des espaces, réservés aux chiens dans les fourrières et du très petit nombre d'incinérateurs. Quant à la traçabilité, il n'existe pas de loi au Maroc obligeant les propriétaires à vacciner leurs chiens. Il est également difficile d'identifier le propriétaire d'un chien. Certains chiens de garde dans les garages, hangars, zones industrielles ou mosquées ont plusieurs maîtres. A ce propos, le ministère de l'Agriculture a annoncé une réunion du comité interministériel (Agriculture, Santé et Intérieur) de lutte contre la rage, tenue le mercredi 8 septembre. Lors de cette réunion, il a été décidé de lancer un programme de vaccination qui concernera 400 000 chiens. Cette mesure, même si elle est louable, n'est pas efficace, parce qu'elle ne résout pas le fond du problème: éradiquer les cas de rage animale au Maroc. Car même si les autorités prennent en charge les soins pour éviter que la rage ne déclare chez l'homme, et même si la mortalité demeure faible, il est inadmissible qu'une maladie d'un autre âge continue de faire l'actualité chez nous. La négligence et l'ignorance de certains sont souvent responsables de leur décès par la rage. Le malheureux sexagénaire, mort à Benslimane, a voulu épargner à son voisin dont le chien l'avait mordu les tracasseries avec les autorités. Il en est mort. D'autres se rendent chez des charlatans ou ne suivent pas le traitement des vaccins antirabiques jusqu'au bout. Si certains hommes feraient toujours preuve d'ignorance et de négligence, c'est contre les chiens qui leur communiquent la rage qu'il faut lutter. C'est la seule façon de cesser le débat sur un faux problème de santé publique et une vraie plaie qui exacerbe les foyers archaïques dans notre société.