Rien ne va plus entre Le Caire et Washington. Les Etats-Unis menacent de réduire à sa portion congrue l'aide annuelle à l'Egypte. Une pression qui s'ajoute à celle liée au Soudan, autour de la région de Halaib, dans le but de briser l'alliance avec Khartoum. La stratégie américaine ne cesse de surprendre. Elle met les bouchées doubles. Au Proche-Orient, paradoxalement, elle prend ses principaux alliés arabes dans la région pour cible. Des critiques sévères et des mesures disproportionnées sont brandies. Des chantages politiques qui disent, en catimini, leurs noms. A l'heure où les bruits de bottes se font déjà entendre en Amérique et prédisent déjà la chute de Saddam Hussein… D'abord, la condamnation d'un américano-égyptien par la justice cairote a été l'occasion pour l'Administration américaine de monter au créneau et de déclencher un processus d'hostilité et de tension avec l'Egypte. Faisant suite à un article du Washington Post, le porte parole de la Maison-Blanche, Claire Buchan, a été plus explicite. Son pays n'entend pas « aller au-delà des engagements pris envers l'Egypte en 1978 ». Ces engagements ont été pris à la suite des accords de Camp David et accordaient une aide annuelle de 1,9 milliard de dollars au Caire. Washington n'en fait pas autant contre Khartoum sur l'affaire Tourabi, qui reste dans les geôles du pouvoir. Encore une question des deux poids deux mesures chère à nos amis américains. Vint ensuite l'interférence américaine dans le conflit soudanais. L'Egypte, allié de taille tant du Soudan que des Etats-Unis, est écartée de l'accord de Machakos (Kenya). Le projet américain veut mettre un terme aux décennies de guerre au Sud du Soudan. Mais on lui reproche de ne pas avoir regroupé l'ensemble des forces politiques soudanaises et qu'il risque de tomber à l'eau. Surtout que le Sud soudanais comprend aussi une minorité musulmane, à côté de la majorité chrétienne et animiste. Le Caire a manifesté clairement son désaccord avec le projet américain, qui, selon elle, aboutira à la partition du Soudan. Le président Bachir est accusé d'avoir cédé à la pression américaine et d'avoir présenté d'énormes concessions. Plus grave encore, Khartoum soulève la question d'un différend territorial avec l'Egypte sur la région de Halaib (qui donne sur la Mer Rouge), actuellement sous souveraineté égyptienne. Pourtant, une volonté commune des deux pays voulait faire du territoire un espace d'exploitation et de complémentarité économique. Il faudrait voir dans cette levée de boucliers une tentative de faire avaliser, par Le Caire, l'accord de paix inter-Soudanais et une opération de diversion destinée à détourner les pays arabes de la région de la prochaine guerre contre l'Irak. Cette zizanie, semée entre deux pays arabes, voisins et séculairement amis, a pour but aussi d'affaiblir davantage la capacité de gestion et de négociation du monde arabe de la question palestinienne. Au grand bonheur et au profit d'Israël. L'Egypte est connu pour être une grosse pointure de la paix au Moyen-Orient. Une pièce maîtresse dans l'équilibre des rapports de Tel-Aviv avec ses voisins arabes. Autant l'occuper avec de nouveaux conflits artificiels et de l'amener à accepter, voire à épouser, la stratégie américaine en matière de paix dans la région. Washington joue avec le feu. Elle risque de provoquer des retournements de situation et de faciliter le retour en force de l'antiaméricanisme. Comme au temps de la guerre froide et des grandes mobilisations. Car à force d'approfondir les blessures dans les pays arabes, et de prendre chacun à son tour, c'est le choix des convulsions politiques qui semble être privilégié outre-atlantique. • Mohamed Khalil