C'est à quelques kilomètres de Casablanca, à Dar Bouazza, que l'on retrouve Fettouma Benabdenbi Djerrari. Madame chapeau pour les intimes, cette sociologue de formation est à l'origine d'un lieu mythique où pratiquement tout tourne autour de l'agroécologie : la ferme pédagogique de Dar Bouazza. Aux portes de la ferme se dresse ce que nous avons cru être, à première vue, un marché saisonnier où les paysans de la région écoulent leurs produits. Il aurait pourtant suffie d'emprunter l'allée pour découvrir que notre visite coïncidait avec le coup d'envoi de «La Caravane de la semence», un événement consacré au programme «femmes semencières» qui place la préservation des semences locales au cœur des solutions au changement climatique. En janvier 2013, «Femmes semencières» a vu le jour. «Ce programme s'inscrit parfaitement dans le cadre du pilier II du Plan Maroc Vert. Il est actuellement à sa phase expérimentale et a pu se concrétiser grâce à l'aide de l'ONU Femmes en partenariat avec l'Association Terre humanisme Maroc (THM) et la Coopération française. Ce que vous allez voir n'est autre que le fruit de trois ans de travail et de persévérance», précise Raja Jbali en sa qualité de directrice de THM. Aujourd'hui, elles sont environ 120 femmes aux quatres coins du Royaume à avoir été sensibilisées et formées dans l'objectif de leur permettre d'atteindre une autonomisation socio-économique. Il est à noter cependant que l'idée germe depuis 2000. Celui qui est à l'origine de ce concept n'est autre que Pierre Rabhi, un des agroécologistes les plus marquants de l'époque. Pour certains, il s'agirait même d'un visionnaire. Dans une lettre qu'il adresse à ces femmes, Pierre Rabhi dit avoir «une grande vénération pour le principe féminin qui associé au principe masculin donne la vie. Aujourd'hui la vie est atteinte de mille façons et l'une des attaques les plus terribles est celle qui détruit les semences. Celles-là mêmes qui depuis dix mille ans ont été transmises de génération en génération. Et qu'est-ce que c'est que la semence? Quand je vous donne de la semence je vous donne de la vie. Cette poignée de graines que vous allez semer et qui perpétue le cycle. C'est cette continuité de la vie qui est symboliquement et réellement attachée à la femme». A retenir toutefois que ce programme n'exclut pas les hommes mais place les femmes au cœur de cette problématique de façon à leur faire prendre conscience du grand rôle qu'elles jouent parfois même dans la survie de leurs familles. Il s'agit de leur accorder le statut qu'elles méritent et de leur arracher cette étiquette d'impuissance que leur entourage leur colle alors qu'elles sont très souvent au cœur du processus alimentaire. Ces femmes, à qui ce programme d'autonomisation offre les moyens de communiquer et de se faire valoir seront par la suite un exemple à suivre. L'audience autour de Fettouma Benabdenbi partage et se nourrit du même principe : Si dans le contexte actuel les femmes sont considérées comme les premières victimes des conséquences du changement climatique, elles ont toutefois toujours été responsables de la sécurité et la souveraineté alimentaires. Les femmes semencières en question ont fait le déplacement de Casablanca, d'Errachidia, de Ghafsay ou encore de Rhamna pour sensibiliser le grand public à l'intérêt de préserver les semences locales paysannes bien adaptées aux conditions climatiques de leur milieu. Bouchaïb Harris est parmi ceux qui ont veillé à mener à bien la formation de ces femmes. Aujourd'hui, il se dit fier du résultat et estime qu'il est plus que temps pour une réconciliation entre le monde urbain et celui rural. Pour lui, nous sommes ce que nous mangeons. «Vous avez besoin de nous. Autrement, c'est la mondialisation qui va vous nourrir», ironise-t-il en s'adressant à l'audience. Aujourd'hui, tel qu'expliqué par Fettouma Benabdenbi, la semence est considérée «comme une propriété privée des grands semenciers». Ils seront, selon elle, quatre grands acteurs industriels à détenir 50% de la semence mondiale. Ici, les questions de la souveraineté, de l'autonomie et de la sécurité alimentaires se posent. «Ces semences hybrides sont stériles. Elles ne sont donc pas reproductibles et mettent le paysan dans l'obligation d'en acheter continuellement. Que se passera-t-il si le petit agriculteur n'a plus les moyens de s'en approvisionner? Ou encore s'il arrive qu'il y ait une interruption de fourniture en semence?», s'inquiète-t-elle. Dans un pays où une personne sur deux vit de l'agriculture, les réponses à ces questions sont, le moins qu'on puisse dire, impératives. Dans une salle au cœur de la ferme pédagogique de Dar Bouazza se sont réunis hommes et femmes pour qui la solution présente est celle du développement d'une semence locale et libre. Le programme «Femmes semencières» intervient comme un premier pas vers leur objectif. Il serait même, selon la représentante du Maroc à la COP21, Sabah Chraïbi, «une solution au changement climatique que le Maroc peut être fier de présenter à la COP22». Un point sur lequel la rejoint la présidente de Women's Tribune, Fathia Bennis pour qui «ces femmes doivent avoir une place de choix à la COP22. Nous, en tant qu'acteurs, sommes dans le discours mais grâce à elles, nous allons pouvoir convaincre ce mois de novembre à Marrakech».