Alors qu'on aurait pu recomposer la vie politique nationale - du moins les partis génétiquement recomposables - avec deux ou trois coups de fils bien sentis, on laisse la nature faire. Et comme la nature, qui aime le vide chez nous, pour des raisons climatiques observables, est proche du PJD, vous voyez d'ici les dégâts. Le PJD est, semble-t-il, la clé de voûte de la vie politique marocaine en période pré-électorale. Nos hommes politiques le courtisent, le respectent, l'adulent, le louangent, le cajolent et l'encensent en douce. Ni vu, ni connu. Tous les moyens sont bons, même les plus clandestins. Chacun y va de sa petite ou grande stratégie. Il y a vraiment une énorme bousculade autour de la table du PJD, tout le monde veut s'inviter au dîner. Sauf que les gens oublient que si on veut faire ripaille avec le PJD, il vaut mieux avoir une longue cuillère. C'est plus prudent. Tout le monde crédite ce valeureux parti islamiste d'un matelas électoral conséquent, d'un ascendant irrésistible et d'une aura impérieuse. Ce constat bien évidemment autorise toutes les audaces, toutes les transgressions et surtout toutes les compromissions. On ne sait jamais, disent-ils, il vaut mieux ménager notre avenir électoral et notre chance, virtuelle pour l'instant, d'être présent justement dans le prochain tour de table gouvernemental. Ne sont-ils pas aussi marocains que nous ? Ne sommes-nous pas aussi musulmans qu'eux ? N'ont-ils pas autant que nous pignon sur rue ? Ne meublent-ils pas comme nous les mornes séances du Parlement ? Et alors où est le mal ? Tout cela est recevable, mais personne ne veut parler du reste. C'est-à-dire de l'essentiel. Celui, justement, dont tout le monde se fout actuellement. Parler de l'essentiel - que mon confrère Hassan Benaddi me pardonne - est le dernier souci de la classe politique marocaine. Et c'est vraiment dommage. Il semblerait que cela ne se fait pas en période pré-électorale, ça ferait perdre des voix. Ça ne se fait non plus en période post-électorale, ça ne sert plus à rien, les jeux sont déjà faits. Et ça ne se fait pas non plus en période électorale, tout court, puisque ça fait le jeu des adversaires avec lesquels il n'est pas exclu que l'on s'allie si les circonstances le dictent. Dans ce cas précis, « circonstances » est à prendre au sens strict de ministère de l'Intérieur ancien concept de l'autorité. Pour le nouveau concept, pour l'instant, - et c'est ça la nouveauté troublante - les circonstances ne dictent rien. C'est ce qui explique, en fait, le désarroi de nos partis politiques vertueux. Alors qu'on aurait pu recomposer la vie politique nationale - du moins les partis génétiquement recomposables - avec deux ou trois coups de fils bien sentis, on laisse la nature faire. Et comme la nature, qui aime le vide chez nous, pour des raisons climatiques observables, est proche du PJD, vous voyez d'ici les dégâts. Hier, on faisait des prières rogatoires pour appeler à la mansuétude divine, aujourd'hui on fait acte de contrition, de componction et de résipiscence devant le perron de la maison d'ici-bas du PJD. Les voies du Seigneur n'ont jamais été aussi impénétrables sauf, bien entendu, pour les demandeurs de saintes alliances. Non pas un pacte avec Dieu, comme cela peut se comprendre pour un croyant ordinaire, mais avec ses représentants auto-désignés, jouant sous les couleurs vertes du PJD. Le paradis électoral serait-il à ce prix ? Certains le pensent tellement fort que leur littérature politique actuelle est ostentatoirement distribuée à la sortie des mosquées, tous les vendredis que le Bon Dieu fait. On dort du sommeil du juste en rêvant d'élections, de progrès, de modernité, de démocratie… et un jour on se réveille brutalement découvrant qu'on est devenu cousin par alliance du PJD. Mais c'est normal dans toutes les alliances, même matrimoniales, on ne demande jamais son avis au cousin. Il découvre passivement son état qui est en soi une conséquence inhérente à la modification du statut des autres – les jeunes époux en l'occurrence - et jamais l'expression d'une volonté librement assumée de sa part. Pour les cocus – y compris en politique - c'est également la même mécanique implacable qui fonctionne. Ils choisissent rarement leur état, à moins qu'ils soient très malins.