Entretien. Ses recueils sont publiés dans la prestigieuse collection «Poésie» des éditions Gallimard. Ce grand poète, boycotté par le cercle des universitaires français, est l'un de ceux qui croient le plus à l'homme et qui se battent pour un monde sans frontières. ALM : Vous faites avec des mots simples des constructions inédites, complexes… André Velter : J'ai commencé à écrire de la poésie à l'âge de 20 ans. J'en ai 57 aujourd'hui. Il me semble qu'il y a eu une très lente évolution rhétorique et stylistique dans mon écriture. En particulier, un abandon progressif des mots rares et difficiles. J'employais des mots plus complexes, il y a trente ans. J'avais alors recours à des images poétiques luxuriantes, héritées du surréalisme. Et puis, il y a eu un tournant décisif à partir des années que j'ai passées en Afghanistan en 67, 77 et 78. Cette expérience afghane a simplifié mon vocabulaire et ma rhétorique. Cela étant, je crois honnêtement que l'ensemble de ce que je veux dire ne s'est pas simplifié. Je ne crois pas que les concepts et la philosophie fondant ma poésie soient devenus plus simples, je ne le crois pas du tout ! En revanche, les outils que j'utilise, je les veux non pas simples, mais je cherche à ce qu'ils soient pris en charge par tout le monde. En clair, mon idée est de ne jamais exclure qui que ce soit de ma poésie. Je ne veux pas introduire des mots rares et des concepts énoncés de façon à être intelligibles par une élite qui a fait des études supérieures – pour dire les choses très rapidement. Ce qui ne veut pas dire que j'ai des idées simples. La réalité est complexe. Et je ne tiens pas du tout à la transmettre en la réduisant. Il y a autre chose qui surprend dans vos poèmes par rapport à la poésie contemporaine, c'est que vous êtes lyrique. Je n'ai jamais pensé que la poésie devrait se limiter à une recherche formelle qui intéresse une demi-douzaine de personnes dans le sixième arrondissement à Paris. Et comme je suis ouvert sur l'ensemble du monde, j'ai très vite compris que ce que l'on dictait, en France, comme une règle dans les années soixante et soixante-dix n'était non seulement pas suivie dans le reste du monde, mais n'empêchait pas les hommes de faire de la poésie ! J'ai préféré me ranger à l'avis du reste du monde plutôt que de me faire une place dans la chapelle d'un certain nombre de professeurs d'universités, en général très mauvais poètes, et qui donnaient des dictats sur ce qui devait s'écrire en France. C'est pour cela que très souvent dans ma poésie, il y a une dette payée aux poètes du monde entier, parce qu'ils m'ont sauvé de la sécheresse formelle. Ils m'ont permis très simplement d'être ce que je suis profondément. Vous savez, la poésie correspond aussi à une certaine nature, à un certain tempérament. Il est évident que pour qui me connaît un peu, je n'ai pas un tempérament étriqué. Ni dans le langage, et encore moins dans ma manière d'être. Pour revenir au terme lyrisme, je veux bien qu'on me l'applique, parce que c'est vrai qu'il y a dans ma poésie une part de chant revendiqué. Mais je ne veux pas non plus tomber dans les excès du lyrisme pour le lyrisme. Il y a très peu d'adjectifs dans mes textes. Ce lyrisme a partie liée avec le souffle. C'est votre souffle qui est lyrique… C'est tout à fait ça ! C'est exactement comme ça que je le ressens. C'est plus une question de souffle et de recours à l'oralité qu'une prolifération d'adjectifs, de métaphores… Je m'en méfie beaucoup. Il y a eu dans le surréalisme une inflation verbale à laquelle j'ai été sensible, mais à laquelle je n'adhère plus. Un poème dit toujours plus que ce qu'on croit qu'il dit. Et c'est sa chance! Mais il n'empêche que je connais le sens de chacun des vers dans mes poèmes et que je n'écris pas au hasard. Je suis certes très sensible à la sonorité des mots, mais le son ne m'affranchit pas du sens. Vous pensez que la société actuelle prend au sérieux les poètes ? Oui, mais sans s'en rendre compte. Bien entendu, elle ne les prend pas au sérieux. Elle les méprise. Elle ne les écoute pas. Mais elle finit par être obligée de le faire. Qui est-ce qui s'est le moins trompé sur l'évolution des choses au XXe siècle ? Ce ne sont pas les penseurs, encore moins les philosophes. Je trouve que les poètes se sont beaucoup moins trompés dans leur manière d'être au monde que ceux qui faisaient profession de penser. Et dans la vie quotidienne, regardez comment le moindre objet a été transformé par un courant d'essence poétique : le surréalisme. Aujourd'hui, on juxtapose des objets hétéroclites sur la devanture des magasins sans se rendre compte que cette rencontre insolite a fondé la poétique surréaliste. Vous semblez plus près des poètes étrangers que de la poésie française. Dès que je me mets à lire les poètes étrangers, d'un seul coup, je me sens chez moi. Et c'est pourquoi, je rends explicitement aux poètes étrangers ce que je leur dois. En agissant de la sorte, je montre que la poésie est une gigantesque chambre d'écho. Oui, je suis au centre d'une chambre d'écho qui me renvoie à tout ce qui s'écrit dans le monde en permanence. Et c'est pour cela aussi que j'ai fondé la revue «Caravane» qui fait tous les ans le tour du monde des littératures. Il faut préciser d'ailleurs que ce n'est pas seulement une dette, mais un sens du partage de la pensée et du chant. Je me sens participant d'une grande aventure poétique universelle. Est-ce que vous croyez à une corporation de poètes sans frontières ? Je crois sinon à une corporation, du moins à une société secrète. Je cite volontiers cette phrase de Dante, poète que j'aime beaucoup : « Nous à qui le monde est appris comme au poisson la mer ». En aussi peu de mots, dire tant de choses que les hommes n'ont pas été capables de mettre en œuvre, c'est extraordinaire ! Imaginer un monde sans frontière, parce que c'est le sens de ce vers. Des hommes aussi libres que le poisson dans une mer. Il n'y a pas encore de frontière pour les poissons, ça viendra un jour ! Ce qui ne découragera pas pour autant les poètes qui chercheront l'exemple d'autres créatures libres de leurs déplacements dans le monde.