Le procès en diffamation intenté par le général algérien Nezzar contre un ex-sous-officier, Souaïdia, auteur du livre «La sale guerre» accusant les militaires de massacres, s'est ouvert lundi. On a l'impression que c'est l'ancien homme fort du régime qui est au banc des accusés. Dans ce procès qui se poursuivra toute la semaine, l'ancien ministre algérien de la Défense (1990-1993) n'attaque pas directement le livre de Souaïda (65.000 exemplaires vendus selon les éditions La découverte), mais les propos qu'il a tenus lors d'une émission diffusée par une chaîne de télévision française, la Cinquième. A son arrivée, celui que l'on dit être le principal instigateur de l'interruption du processus électoral algérien en 1991, n'a fait aucune déclaration et a pénétré dans la 17ème chambre correctionnelle par une porte latérale, évitant les nombreux journalistes qui l'attendaient devant la porte principale. Habib Souaïdia a déclaré à son arrivée : «certains ont dit pire que moi, je ne comprends pas pourquoi les généraux m'attaquent et pas d'autres. En tout cas, je ne retire rien de ce que j'ai dit». Dans ce livre, qui a alimenté une très vive controverse, Souaïdia, engagé volontaire en 1989 dans les rangs de l'Armée nationale populaire (ANP), raconte la torture, les exécutions sommaires et les massacres de civils commis, selon lui, par les militaires depuis le début des années 1990. Soutenant cette thèse sur la Cinquième, il avait ainsi déclaré que «les généraux» ont «tué des milliers de gens ». «Ce sont eux qui ont décidé d'arrêter le processus électoral, a-t-il accusé, ce sont eux les vrais responsables». Réfugié en France, Souaïdia a été condamné, en avril dernier à vingt ans de prison par contumace, par le tribunal criminel Sidi M'hamed d'Alger, pour «participation à une entreprise d'affaiblissement du moral de l'ANP et de la sûreté de l'Etat». Khaled Nezzar, 65 ans, avait, pour sa part, fait l'objet en novembre 2001 de plaintes en France pour tortures de la part de familles d'opposants et avait été auditionné dans ce cadre par la police française en avril 2002. Selon son avocat, aucune nouvelle audition du militaire n'est toutefois envisageable durant son séjour le temps du procès, dans la mesure où ces plaintes «ont fait l'objet d'un classement sans suite». Mais une nouvelle plainte a été déposée contre lui vendredi à Paris par neuf Algériens, pour tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants, a indiqué lundi l'un de leurs avocats, Me William Bourdon. Khaled Nezzar lui-même avait publié ses «Mémoires» le 1er novembre 2001, jour anniversaire du déclenchement de la guerre de libération… Nezzar est incontestablement le plus bavard des officiers de la Grande Muette algérienne. Il est le chef militaire qui en sait le plus sur les histoires de la République. En préface de son livre, celui qui a persuadé Chadli Bendjedid de démissionner, persiste à mettre en garde contre ces dirigeants qui « sous des impulsions immodérées ont réservé un sort funeste à leur pays». Car, l'armée refusait de voir le FIS avec un quart des voix disposer d'une majorité absolue au Parlement. «L'éventualité d'aller à des mesures extrêmes pour préserver l'Etat républicain et maintenir l'ouverture démocratique était retenue», révèle Nezzar dans ses mémoires «dès le troisième jour des élections législatives». C'est ce même général, qui, en 1991, organisa la riposte au FIS dans Alger. Celui qui déserta à 21 ans l'armée française pour rejoindre l'ALN, eut, à son tour, à affronter des jeunes Algériens de 21 ans sortis crier leur colère un jour d'octobre 1988. Et ce n'est pas fini, car au moment où il intente ce procès à Souaïdia pour défendre l'honneur de l'armée, on s'attend à la sortie d'un autre brûlot intitulé «Dans les geôles de Nezzar» qui l'implique, une fois de plus, dans la torture et l'internement de plusieurs personnes dans les fameux «camps du Sud». Ces camps ouverts par le gouvernement en 1992. L'auteur, Lyès Laribi, qui a porté plainte pour «crimes de tortures», contre Nezzar, est un ancien étudiant et syndicaliste à l'université de Bab Ezzouar qui a passé 44 mois en détention. Son livre est un témoignage sur les sévices corporels et les conditions de détention endurés par les prisonniers dans les camps d'internement du Sahara algérien. S'acheminera-t-on vers d'autres procès au fur et à mesure que les langues se délient?