Il y a dix ans, le président algérien Mohamed Boudiaf tombait sous les balles assassines de son propre garde du corps, qui aurait en fait été une simple exécutant… Car, s'il lui avait suffi de six mois pour gagner la confiance des citoyens, Boudiaf avait aussi menacé des intérêts en place. Tout le monde se souvient, avec horreur, de l'assassinat en direct, le 29 juin 1992, de Mohamed Boudiaf. Quelques jours avant son assassinat, le septuagénaire respectable et respecté déclarait qu'il allait poursuivre toutes les parties en accusation dans des affaires de détournement de fonds et de pots-de-vin quelles que soient leurs positions. Un assassinat –ou plutôt une mise à mort - qui suscite encore bien des interrogations. Et, depuis l'année dernière, des accusations sont régulièrement portées contre essentiellement l'actuel directeur du cabinet d'Abdelaziz Bouteflika, Larbi Belkheir, alors ministre de l'Intérieur. Belkheir est l'homme fort des régimes successifs depuis Chadli Bendjedid et, dit-on, «celui qui tire les ficelles dans l'ombre depuis les premières années de décadence de l'Algérie». Mais la thèse officielle retient que c'est le propre garde du corps de Boudiaf, Lembarek Boumaârafi, un sous-officier des groupes d'intervention spéciale de l'armée, qui serait «un islamiste illuminé» qui l'a tué. Ce qui nous conduit donc à la thèse de l'acte isolé. Mais la famille Boudiaf et quasiment tous les Algériens sont convaincus que c'est la «maffia politico-financière», celle-là même qui l'a ramené, le 11 janvier 1992, de Kénitra (où il vivait depuis 1979), pour sauver la République en danger de mort, qui l'a liquidé. Cela parce qu'elle avait le 11 janvier 1992, senti ses intérêts menacés. Larbi Belkheir est le principal mis en cause, notamment par Nacer Boudiaf, le fils du défunt Président. Nacer avait annoncé en janvier dernier dans les colonnes du quotidien algérien «Le Matin» son intention de l'ester en justice devant les tribunaux algériens et même internationaux si la justice refusait d'ouvrir une enquête pour information. Il reproche à Larbi Belkheir d'avoir gardé le silence après une accusation lancée publiquement contre lui par M. Bensaïd, le secrétaire général de la Coordination nationale des enfants de chouhada (CNEC). Et de poursuivre, avec une logique implacable, dans un entretien à « Aujourd'hui Le Maroc» : «Si on vous interpelle en vous lançant des insinuations tendant à vous désigner comme assassin et que vous ne réagissiez pas, (…) quelles conclusions peut-on tirer devant le silence à la suite d'aussi graves accusations ?». Et de rappeler qu'au moment de l'assassinat de son père, Larbi Belkheir était ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire qu'il «gérait à ce moment précis la coordinations des services de sécurité dans le cadre de la gestion de l'état d'urgence». Et, avait-il ajouté, l'assassinat peut être le résultat de graves carences et négligences. «Logiquement ceci doit être lourdement sanctionné». «Il y a ici, le moins qu'on puisse dire, une impunité inacceptable. C'est déjà un motif largement suffisant pour demander justice. De toute manière, avait-il dit, «l'acte isolé voudrait qu'en plus de l'assassin présumé, des sanctions administratives et politiques touchent la plus haute hiérarchie des services de sécurité qui, en cette grave situation, avaient fait preuve d'une incompétence jamais égalée, sauf peut-être par l'impunité». «On a vu un ministre de l'Intérieur d'un pays arabe limogé quelques heures après une attaque terroriste d'un bus de touristes étrangers», avait-il poursuivi, ajoutant : «chez nous, le ministre, sous lequel le chef de l'Etat a été assassiné, se retrouve Directeur du Cabinet du Président de la République». Ce que l'histoire retiendra, c'est que Boudiaf avait fini par paraître comme le justicier et l'homme providentiel dans un pays où la «hogra» était dans toutes les discussions. L'homme méprisait les mots savants. Même les textes de loi ne semblaient pas constituer pour lui un obstacle quand il s'agissait de sauver le pays. Il allait droit au but. Ce qui lui a été fatal.