Ahmed n'a jamais oublié son viol par un voisin au douar Saniat Berguig, commune de Zmamra, province d'El Jadida. Une vingtaine d'années plus tard, il le lui fait payer cher en le poignardant à mort. «Je ne regrette rien puisque je l'ai éliminé». Cette phrase est sortie de la bouche d'Ahmed qui est alité aux urgences d'un l'hôpital à El Jadida. Dans les locaux de la Cour d'appel, il était au premier étage, menotté et surveillé par deux policiers. Il venait d'être interrogé par le procureur du Roi. Après quoi, il devait être mis entre les mains du juge d'instruction. Seulement, un incident imprévu s'est produit : Ahmed s'est jeté d'en haut. Bref, il a tenté de se suicider. Heureusement qu'il a sauté du premier étage. La chute lui a coûté une fracture et quelques égratignures. D'abord, pourquoi est-il arrêté et traduit devant la justice ? La réponse nécessite le retour à une vingtaine d'années passées lorsque Ahmed se rendait en compagnie de son père à Saniat Berguig, commune Zmamra, province d'El Jadida. C'est là où son père est né, a grandi et dispose de champs, sur lesquels veille depuis plusieurs années son fils aîné. Ahmed se souvient souvent de cette phase de son enfance, lors de laquelle il passait les vacances scolaires au douar en s'amusant avec les enfants de son âge. Et bien qu'il ait quitté l'école à l'âge de 11 ans, après avoir échoué dans les deux premiers niveaux primaires, il a continué de s'y rendre avec sa famille. Mais un seul souvenir lui est resté dans sa mémoire, qu'il n'a pas pu oublier malgré l'effort qu'il avait déployé pour s'en débarrasser. C'est un souvenir qui lui rongeait le cœur. Il s'en souvient comme si c'était hier. Il était à son troisième ou quatrième printemps quand il a été détourné par Abdelkader, son aîné de cinq ans, loin des yeux des curieux pour abuser de lui. Il ne s'agirait que d'un jeu d'enfants à ce temps pour Abdelkader qui ignorait la gravité de son comportement sur l'état psychique d'Ahmed. En atteignant l'âge de l'adolescence, ce dernier a cessé d'aller à la campagne, en compagnie de son père. Il n'y pensait plus depuis qu'il a commencé à travailler dans une tôlerie à Casablanca. Est-il arrivé à enterrer son mauvais souvenir durant ces années ? Il fallait attendre que son cousin leur rende visite pour le savoir. Celui-ci a profité d'une occasion pour lui demander la véracité de ce qu'Abdelkader raconte. Il a dit qu'il avait abusé d'Ahmed. Quelle honte ! Que doit-il répondre ? Il a senti comme si la terre s'écroulait sous ses pieds. Pourquoi rappelle-t-il ce mauvais souvenir et le raconte-t-il à ses amis? Que veut-il de lui ? Pourquoi veut-il souiller son honneur des années plus tard ? Ahmed s'est contenté de baisser les yeux sans dire un mot. Depuis, il s'est renfermé sur lui-même au point qu'il n'adressait plus la parole à personne. Pire encore, il a abandonné son travail pour rester chez lui. Il ne peut plus regarder les autres en face. Ses parents qui ignoraient les raisons de ce qu'il lui est arrivé ont essayé de l'aider. Mais en vain. Ils l'ont envoyé par la suite chez sa tante à Rabat pour changer au moins ses fréquentations. Mais toujours en vain. Entre-temps, en juin dernier, sa mère l'a rejoint chez sa tante, lui a sollicité de l'accompagner au douar Saniat Berguig pour assister aux cérémonies de fiançailles d'une voisine et la circoncision de son petit frère. C'était l'occasion pour lui de mettre fin au mauvais souvenir. Ahmed et sa mère sont au douar. Tout le monde se préparait à la fête. Les jeunes également s'arrangeaient pour passer une nuit inoubliable. Ahmed était parmi eux. Et comme si les circonstances font leur propre jeu pour la préparation de l'inconcevable, c'est Abdelkader qui s'est chargé de collecter l'argent nécessaire pour s'approvisionner en vin rouge. “Et ta part de l'argent ?“, s'adresse-t-il à Ahmed. Ne disposant que de quelques sous, il s'est abstenu de lui en verser. Abdelkader l'a insulté devant les jeunes du douar en le qualifiant d'une prostituée. Retenant ses nerfs, Ahmed a quitté le groupe des jeunes du douar. Il a passé une nuit blanche. Pourquoi Abdelkader lui adresse-t-il, à chaque fois, une insulte qui lui rappelle le mauvais souvenir ? Il faut y mettre fin. Vers 15h, Abdelkader participait à la construction de la tente caïdale quand Ahmed est venu vers lui, demandant à lui parler. De quoi ?, lui demande Abdelkader avec un sourire malicieux. Hors de lui, Ahmed l'a tiré violemment. Surpris par ce comportement, Abdelkader lui a donné un premier coup. Et sans attendre qu'il lui assène un deuxième, Ahmed a brandi un couteau qu'il cachait sous ses vêtements pour le poignarder de plusieurs coups, avant l'intervention des voisins. Sans regret, Ahmed s'est tenu sur place jusqu'à l'arrivée des gendarmes.