Le marché Al Najat, qui a les apparences d'une offre d'espoir inespérée, avait toutes les chances de prospérer puisqu'elle joue sur les ressorts psychologiques intimes de toute personne en détresse, prête à tout pour sortir de l'ornière de la précarité. On a vu jusqu'ici diverses techniques d'escroquerie à l'emploi: des courtiers qui proposent de faux contrats d'embauche à l'étranger en passant par des annonces-attrape-nigaud pour l'immigration légale au Canada. Mais le procédé élaboré en la matière par l'agence El Najat est particulièrement ingénieux. Voilà un intermédiaire qui débarque au Maroc pour “vendre“ des milliers de jobs à bord de bateaux de croisière. On lui déroule immédiatement le tapis rouge. Cette agence n'a pas de représentation dans le pays. Elle s'attache juste les services d'un courtier local qui se charge de mettre à contribution cinq boîtes d'intérim. 30.000 boulots à distribuer. Soit autant de chômeurs en moins. L'offre est alléchante. De gracieuses commissions en jeu. L'Anapec, qui n'était pas associée au départ à cette opération, se débrouille pour y être impliquée. Mieux, elle parraine le programme et lui donne un cachet officiel. Pour une structure nouvellement mise en place, il ne faut pas laisser filer cette aubaine. Et puis, politiquement, l'affaire est rentable en cette période préélectorale. Le ministre de l'emploi, Abbas El Fassi est allé jusqu'à la cautionner devant le Parlement. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Dans cette ambiance d'extrême volupté, personne parmi les responsables n'a vu ou n'a voulu voir le truc qui “dysfonctionne“ : les 900 dhs cash que tout candidat doit payer pour la visite médicale, obligatoire pour l'émigration légale. Dans un pays où des jeunes désespérés paient entre 20.000 et 30.000 Dhs à des passeurs pour traverser le Détroit au péril de leur vie dans l'espoir de regagner l'Espagne, débourser 9 billets marron contre une place garantie sous des cieux plus cléments n'est pas très cher payé. C'est même une bonne affaire. Peu importe le boulot ou la corvée. Les postulants n'ont même pas cherché à savoir. Ce qui compte au fond à leurs yeux, c'est le visa qui leur permettrait de sortir du pays. Le cas échéant, ils auraient le choix de travailler là où ils voudraient. À eux l'Europe ou l'Amérique. Le marché Al Najat, qui a les apparences d'une offre d'espoir inespérée, avait toutes les chances de prospérer puisqu'elle joue sur les ressorts psychologiques intimes de toute personne en détresse, prête à tout pour sortir de l'ornière de la précarité. C'est Al Najat qui mène la danse, pose ses conditions. Elle a refusé de révéler l'identité des éventuels entreprises de croisière. “ C'est confidentiel“, arguent-ils. Depuis quand est-ce que le fait de connaître au préalable son employeur relève-t-il du secret ? Malgré cela, l'Anapec a accepté de renoncer au droit légitime et obligatoire de savoir en entreprenant les démarches nécessaires. C'est la première fois de l'Histoire que les malheureux élus signeront des contrats où il n'est pas fait mention de leur futur et éventuel patron. Le mécanisme de l'arnaque, il faut en convenir, est inédit. C'est comme si quelqu'un vous dit : “ je connais un trésor caché sous le sol. Mais je ne vous montrerai pas où il est enfoui avant que vous ne me donniez une prime car vous devrez me faire confiance et me croire sur parole. Sinon, tant pis pour vous“. Un adage marocain décrit parfaitement cette situation : acheter le poisson dans la mer. C'est ce que l'Anapec a fait. Attirée par l'appât, elle a mordu à l'hameçon. Sans garantie aucune. Elle a engagé la responsabilité de tout un pays en livrant des milliers de ses concitoyens à l'aventure totale. Qui paiera les pots cassés ? Certainement pas Al Najat qui s'en est déjà tirée à bon compte au Kenya et avec un joli petit magot en plus. Au Maroc, elle est en train de gagner le jackpot. N'est-ce pas génial ?