Le tribunal militaire n'est plus compétent pour juger les civils. C'est l'une des grandes nouveautés d'un nouveau projet de loi examiné jeudi par le Conseil de gouvernement et dont ALM détient en exclusivité une copie. En effet, c'est sur Hautes instructions royales que la loi relative à la justice militaire vient d'être modifiée de façon à ne plus considérer les civils comme justiciables devant un tribunal militaire. Il s'agit là d'un changement révolutionnaire dans l'histoire de la justice au Maroc. Plus concrètement, les nouvelles dispositions ne permettent plus de différer un civil quelles que soint sa qualité et la nature de son crime commis en temps de paix y compris lorsque des membres des Forces armées royales sont des co-auteurs des faits reprochés. Les militaires ou les paramilitaires pourront également être jugés par des tribunaux civils si les crimes qui leur sont reprochés relèvent du droit commun. Pour rappel, le CNDH (Conseil national des droits de l'Homme) avait élaboré un mémorandum recommandant de changer plusieurs articles dans la loi relative à la justice militaire. C'est désormais chose faite. Le Maroc aligne donc sa législation en la matière sur les standards internationaux. Mais ce n'est pas tout. Le projet de loi sur la justice militaire apporte de nombreuses autres nouveautés tout aussi révolutionnaires. Ainsi, le nouveau texte prorogera les dispositions qui rendaient un civil justiciable devant un tribunal militaire en cas d'atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat. C'est de nouveau la justice civile qui prend la relève dans ce genre d'affaires.
Les mineurs exemptés Si la loi en vigueur jusqu'ici rendait les mineurs de moins de 18 ans également justiciables devant le tribunal de l'armée, le nouveau projet de loi prévoit d'exempter cette catégorie de toute poursuite devant la justice militaire quelles que sointt leur qualité et la nature du crime qui leur sont imputées. Par ailleurs, le nouveau texte réorganise le tribunal militaire qui sera désormais considéré comme une partie intégrante du système judiciaire du pays. De ce fait, les verdicts de la justice militaire seront désormais susceptibles d'un recours devant la Cour de cassation. En outre, deux Chambres d'appel seront créées au sein du tribunal militaire ainsi qu'une Chambre correctionnelle. Cette dernière sera compétente pour statuer sur les recours contre les décisions du juge d'instruction militaire ou pour décider du sort des demandes de liberté provisoire. Autre changement de taille, le projet de loi propose de créer l'institution du procureur général du Roi près le tribunal militaire et ses substituts qui sont tous nommés sur une décision de Sa Majesté le Roi, Chef suprême et Chef d'Etat-major des Forces armées royales. Le parquet général sera placé ainsi sous la supervision du procureur général du Roi. De plus, le procureur et ses substituts ainsi que les juges d'instruction seront considérés selon la nouvelle loi comme des officiers supérieurs de la police judiciaire. A noter également qu'une place plus importante sera donnée aux juges civils au sein du tribunal militaire. Certaines peines seront également modifiées comme celles relatives aux travaux forcés remplacés par les peines privatives de liberté. Le débat sur la refonte de la réglementation de la justice militaire avait notamment refait surface à l'occasion du jugement des personnes poursuivies dans le cadre des événements du démantèle-ment du camp Gdim Izik. Recommandations du CNDH Le Conseil national des droits de l'Homme avait élaboré un mémorandum relatif à l'amendement du dahir formant code de justice militaire en mars 2013. Le Conseil a notamment proposé l'abrogation des deux derniers alinéas de l'article 3 qui rendent justiciables du tribunal militaire toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d'un fait, qualifié crime, commis au préjudice de membres des Forces armées royales et assimilées ainsi que toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d'un fait, qualifié crime, lorsque un ou plusieurs membres des Forces armées royales sont coauteurs ou complices. Le Conseil avait, en outre, proposé de limiter la liste des justiciables du tribunal militaire aux personnes impliquées dans des crimes ou délits qualifiés d'atteinte à la sûreté de l'Etat. A noter que le CNDH s'était inspiré des expériences de plusieurs pays étrangers dans le domaine de la justice militaire. Partie civile Se constituer en partie civile sera désormais possible devant un tribunal militaire en vertu de la nouvelle loi. D'ailleurs, le CNDH avait consacré une partie de ses recommandations au renforcement des droits des justiciables devant le tribunal militaire, conformément aux dispositions constitutionnelles en la matière. Le Conseil a donc proposé d'aligner les procédures devant le tribunal militaire sur celles en vigueur devant les tribunaux ordinaires. Dans ce sens, il avait proposé d'amender le premier paragraphe de l'article 9 du dahir formant code de justice militaire afin de permettre à tous ceux qui ont personnellement subi un dommage corporel, matériel ou moral directement causé par une infraction objet d'une action publique devant le tribunal militaire de se constituer partie civile devant ce tribunal. Ceci n'était pas possible auparavant. De nouvelles dispositions ont été également introduites pour la demande de la liberté provisoire. Engagements internationaux La révision du cadre législatif encadrant la justice militaire au Maroc était attendue en raison notamment des engagements internationaux du Maroc. En effet, le comité contre la torture avait recommandé au Maroc de «modifier sa législation afin de garantir à toutes les personnes civiles d'être jugées exclusivement par les juridictions civiles». Par ailleurs, le débat sur la refonte de la réglementation de la justice militaire avait également refait surface à l'occasion du jugement des personnes poursuivies dans le cadre des événements du démantèlement du camp Gdim Izik. L'opinion publique avait appris lors du déroulement du procès devant le tribunal militaire que les familles des militaires assassinés n'avaient pas droit à se constituer partie civile ni à avoir des avocats. Par ailleurs, il était donc nécessaire d'en finir avec la confusion née de la dualité de la définition du tribunal militaire, considérée par l'article 10 du code de justice militaire comme «un tribunal permanent», alors que la Cour suprême le définissait comme «une juridiction d'exception».