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Aligner les procédures devant les juridictions militaires sur celles en vigueur devant les tribunaux ordinaires Le CNDH et le Code de justice militaire
Placer les agents de la P.J. sous l'autorité du commissaire du gouvernement et du juge d'instruction militaire Le troisième mémorandum présenté à Sa Majesté le Roi par le Conseil National des Droits de l'Homme est relatif au Code de justice militaire promulgué par le Dahir n°1-56-270 du 6 rebia II 1376 (10 novembre 1956). Le rapport préconise notamment que les civils ne soient plus poursuivis devant le tribunal militaire et que la compétence de ce dernier soit réduite. Ainsi, le tribunal militaire ne devrait connaître, en temps de paix, que des infractions relevant de la discipline militaire, ou impliquant un militaire en matière d'atteinte à la sûreté de l'Etat ou en matière de terrorisme. Pour toutes les autres affaires, les militaires deviendraient, à l'égal de leurs concitoyens civils, justiciables des juridictions ordinaires. Dans le préambule de son mémorandum, le CNDH précise que les propositions contenues dans ce document ont été conçues sur la base des différents référentiels normatifs et déclaratifs aux niveaux national et international, les contributions et recommandations des organisations non gouvernementales nationales et internationales, les recommandations pertinentes des organes des traités des Nations unies et une étude de textes juridiques régissant les tribunaux militaires dans plusieurs pays démocratiques, pour rapprocher les propositions présentées dans ce mémorandum des bonnes pratiques en vigueur dans ces pays. Le CNDH rappelle que la question de la réforme du tribunal militaire a constitué toujours une priorité sur l'agenda des organisations non gouvernementales nationales et internationales oeuvrant dans le domaine de la réforme de la justice. En 2010, dix associations ont préconisé, dans un mémorandum sur la réforme de la justice, une refonte des compétences, de la composition et de la procédure appliquée devant le tribunal militaire permanent des Forces Armées Royales. Dans une étude sur la législation nationale relative à la gouvernance du secteur de sécurité, une ONG nationale a mis en question la compétence et l'organisation du tribunal militaire en rapport avec les garanties du procès équitable. Un réseau international des ONG des droits de l'Homme a plaidé récemment, dans une étude comparative sur «la réforme des pouvoirs judiciaires à l'aube du printemps arabe » pour une réforme de l'organisation judiciaire dans plusieurs pays arabes (dont le Maroc) afin que les civils ne soient plus déférés devant les tribunaux militaires. Le CNDH rappelle que l'Association des barreaux du Maroc a accordé, depuis des décennies, un intérêt particulier à la réforme du tribunal militaire. Il suffit à cet égard de rappeler deux dates clés : en 1987 l'association a organisé un colloque national sur les droits de l'Homme, la question relative au statut du tribunal permanent des forces armées royales y a été largement débattue. L'association a formulé lors de son 23ème congrès, une recommandation préconisant la suppression des juridictions d'exception. Selon le CNDH, les propositions de cette institution concernant le Dahir formant code de justice militaire (tel qu'il a été modifié et complété) sont justifiées par les arguments suivants : - Argument N° 1 : la nécessité d'assurer la compatibilité de certaines dispositions du Dahir objet de ce mémorandum avec la Constitution, notamment dans les domaines portant sur les droits des justiciables, l'indépendance du pouvoir judiciaire et la protection des libertés et droits fondamentaux prévus par la Constitution pendant l'état d'exception. - Argument N° 2 : la clarification du statut juridique du tribunal militaire vu que l'article 10 du Dahir n°1-56-270 du 6 rebia II 1376 (10 novembre 1956) formant code de justice militaire établit « à l'intérieur du territoire un tribunal militaire permanent des forces armées royales », alors que la Cour suprême a défini ce tribunal comme étant « une juridiction d'exception », dans son arrêt n° 971 S du 31 mai 1979. - Argument N° 3 : Les propositions relatives à la compétence personnelle et matérielle du tribunal s'inscrivent dans le cadre de la mise en oeuvre des observations finales des organes des traités notamment le contenu du 13ème paragraphe des observations finales du comité contre la torture adressées au Maroc suite de la présentation de son quatrième rapport périodique (octobre-novembre 2011) et qui recommande au Maroc de « modifier sa législation afin de garantir à toutes les personnes civiles d'être jugées exclusivement par des juridictions civiles ». - Argument N° 4 : les propositions formulées dans ce mémorandum, visent à rapprocher le système national de la justice militaire, des tendances observées dans les pays démocratiques consolidés. En effet, l'analyse des expériences comparées en la matière a permis de dégager quatre tendances lourdes : - L'alignement des juridictions militaires sur les juridictions ordinaires notamment en matière de statut des magistrats et des procédures appliquées devant les tribunaux ; - La limitation de la compétence matérielle des tribunaux militaires à la connaissance des infractions au code pénal militaire et à la discipline militaire ; - La limitation de la compétence personnelle des tribunaux militaires au personnel militaire ; - Le retrait de l'exécutif gouvernemental de l'administration de la justice militaire. Les Propositions d'ordre formel et rédactionnel Le CNDH propose de : - Remplacer la Cour suprême par la Cour de cassation dans le corpus du Dahir à partir de l'article 1er ; - Supprimer le terme « Etat occupé » mentionné dans l'article 5, vu son incompatibilité manifeste avec la volonté du Maroc, solennellement affirmée dans le préambule de la Constitution, « de continuer à oeuvrer pour préserver la paix et la sécurité dans le monde ». Vu d'une part que l'âge minimum requis pour l'accès aux écoles des Forces Armées Royales est de 18 ans, et considérant d'autre part les engagements du Maroc dans le cadre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, le CNDH propose d'abroger, au niveau de l'article 5 du Dahir, la disposition relative à la compétence du tribunal militaire à l'égard des inculpés mineurs militaires. Un des effets de la prise en compte de cette proposition est l'abrogation des questions adressées aux mineurs qui sont prévues à l'article 99 du Dahir, ainsi que les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 202 du même Dahir. Propositions concernant la compétence matérielle et personnelle du tribunal militaire Le CNDH propose une redéfinition de la compétence matérielle et personnelle du tribunal militaire à travers une reformulation des articles 3 et 4 du Dahir formant code de justice militaire comme suit. Au niveau de l'article 3, le CNDH propose de rendre justiciables en temps de paix des juridictions militaires, pour tous crimes ou délits contre le devoir et la discipline militaire prévus par le présent Dahir, et par le Dahir n° 1-74-383 du 15 rejeb 1394 (5 août 1974) portant approbation du règlement de discipline générale des Forces Armées Royales, ainsi que pour les contraventions connexes à des crimes ou délits déférés à ces juridictions, toutes les catégories d'individus mentionnés dans le point 1, 2 et 4, de supprimer le point 3 se référant aux individus détenus dans les prisons militaires à raison d'une infraction de la compétence du tribunal militaire. Dans le même cadre, le CNDH recommande l'abrogation des deux derniers alinéas de l'article 3 qui rendent justiciables du tribunal militaire : 1. toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d'un fait, qualifié crime, commis au préjudice de membres des forces armées royales et assimilées ; 2. toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d'un fait, qualifié crime, lorsque un ou plusieurs membres des Forces Armées Royales sont coauteurs ou complices. Le CNDH propose en outre une reformulation de l'article 4 du Dahir comme suit : «Sont justiciables du tribunal militaire toutes les personnes appartenant aux catégories prévues à l'article 3 du présent Dahir, qui ont commis : des crimes ou des délits qualifiés atteinte à la sûreté de l'Etat et prévus par les articles 163 à 218 du code pénal, des infractions prévues par les articles 218-1 à 218-9 du code pénal » Par souci de cohérence avec l'amendement proposé ci-dessus, le CNDH recommande de remplacer le terme « sûreté extérieure de l'Etat » par « les crimes, délits et infractions prévus à l'article 4 du présent Dahir » et d'abroger le dernier alinéa de l'article 20 dudit Dahir. Aussi, il est proposé d'abroger le terme « individus justiciables du tribunal militaire » suite à la redéfinition de la compétence personnelle du tribunal militaire proposée ci-dessus. Le CNDH tient à rappeler, enfin, que l'étude des expériences comparées citées ci-dessus, confirme la tendance internationale à limiter la compétence des tribunaux militaires en temps de paix aux affaires disciplinaires. Voire même de supprimer les tribunaux militaires en temps de paix. A titre d'exemple, la France a supprimé par la loi 82-261 du 21 juillet 1982, les tribunaux permanents des forces armées en temps de paix, ainsi que le Haut tribunal permanent des forces armées, tout en maintenant les juridictions militaires en temps de guerre. Dans le même sens, l'article 3 de la loi belge du 10 avril 2003 prévoit qu' « Il y a, pour le temps de guerre, des tribunaux militaires permanents et une Cour militaire dont le siège et le ressort sont fixés par le Roi». L'article 96 (parag. 2) de la loi fondamentale allemande prévoit uniquement l'institution de tribunaux pénaux militaires en temps de guerre ; en temps de paix, les auteurs des infractions à la loi pénale militaire du 24 mai 1974 (modifiée par la loi du 26 janvier 1998) sont jugés par les juridictions pénales de droit commun. L'article 117 (parag. 5) de la constitution espagnole prévoit que « le principe de l'unité juridictionnelle est à la base de l'organisation et du fonctionnement des tribunaux » et que « la loi réglemente l'exercice de la juridiction militaire, dans le domaine militaire strictement et en cas d'état de siège conformément aux principes de la constitution ». Ainsi, en temps de paix, la justice militaire espagnole est compétente uniquement pour juger des infractions au code pénal militaire et pour statuer sur les recours contentieux relatifs aux sanctions disciplinaires. Dans une logique similaire, les juridictions militaires suisses sont, en temps de paix, habilitées ,pour connaître uniquement des infractions militaires commises par les militaires en service. Cette tendance est confirmée également par l'article 103 (parg. 3) de la constitution italienne qui prévoit qu' « en temps de guerre, les tribunaux militaires exercent la juridiction prévue par la loi. En temps de paix, ils n'exercent la juridiction que pour les infractions militaires commises par des membres des forces armées ». Dans le même sens, ne peuvent être jugés devant un tribunal militaire en vertu du code de discipline militaire canadien23, qui est fort similaire à celui du Royaume-Uni, que les membres des forces armées canadiennes. Une exception est pourtant prévue au niveau de la compétence personnelle des juridictions militaires canadiennes. Certaines catégories des civils peuvent en effet être assujetties au code de discipline militaire, comme les personnes à charge qui accompagnent un membre des forces canadiennes en service à l'étranger. Propositions visant à renforcer les droits des justiciables devant le tribunal militaire Le CNDH considère que le renforcement des droits des justiciables devant le tribunal militaire, conformément aux dispositions constitutionnelles en la matière, requiert un alignement des procédures devant le tribunal militaire sur celles en vigueur devant les tribunaux ordinaires, tout en tenant compte de la particularité de la justice militaire. Ainsi, et afin de donner une portée générale aux dispositions du premier paragraphe de l'article 118 de la Constitution, il est proposé d'amender le premier paragraphe de l'article 9 du Dahir formant code de justice militaire afin de permettre à tous ceux qui ont personnellement subi un dommage corporel, matériel ou moral directement causé par une infraction objet d'une action publique devant le tribunal militaire de se constituer partie civile devant ce tribunal. Ainsi, l'action civile pourra être exercée en même temps que l'action publique devant la juridiction militaire saisie de cette dernière. Par ailleurs, et pour assurer la compatibilité du code de justice militaire avec les dispositions de l'article 128 de la Constitution, le CNDH propose de placer les agents de la police judiciaire cités dans les alinéas 1, 2 et 3 de l'article 34 du code, sous l'autorité du commissaire du Gouvernement et du juge d'instruction militaire, sachant qu'ils exercent actuellement sous l'autorité gouvernementale chargée de la défense nationale. Concernant les troubles de l'audience, et afin de renforcer les garanties du procès équitable, le CNDH propose de reformuler les dispositions régissant ces actes (notamment l'article 82 du Dahir) pour les aligner sur celles prévues dans les articles 357 à 361 du code de procédure pénale. Pour des raisons identiques, le CNDH propose d'aligner les délais de pourvoi en cassation (8 jours selon l'article 109 du Dahir) sur ceux prévus par le code de procédure pénale (10 jours selon l'article 527 du code de procédure pénale). Le CNDH rappelle que l'analyse des expériences comparées montre une nette tendance vers l'alignement des procédures devant les juridictions militaires sur celles des juridictions ordinaires. C'est le cas de la justice militaire suisse. En Italie, c'est le code de procédure pénal ordinaire qui s'applique devant les juridictions militaires. Propositions visant à aligner l'organisation du tribunal militaire sur celle des tribunaux ordinaires Dans la même logique de normalisation de l'organisation du tribunal militaire et de consécration du retrait de l'exécutif gouvernemental de l'administration de la justice militaire, retrait qui s'inscrit dans le cadre du renforcement de l'indépendance du pouvoir judiciaire, le CNDH propose que la décision de tenir, en temps de paix, les audiences du tribunal militaire dans un autre lieu que Rabat, soit prise par le Président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, sur saisine de l'autorité gouvernementale chargée de la défense nationale. Aussi, et afin de consacrer le rôle du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, en tant qu'organe chargé, en vertu de l'article 113 de la Constitution de veiller à « l'application des garanties accordées aux magistrats notamment quant à leur indépendance, leur nomination, leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline », le CNDH propose que la liste des officiers et sous-officiers réunissant les conditions légales pour être appelés à siéger comme juges au tribunal militaire, actuellement établie par l'autorité gouvernementale chargée de la défense, soit soumise préalablement au conseil supérieur du pouvoir judiciaire pour être nommés selon les mêmes conditions que celle des magistrats ordinaires. Cette proposition requiert l'amendement de l'article 21 du Dahir. En outre, le CNDH propose que la désignation des présidents du tribunal militaire soit faite, au commencement de chaque année judiciaire, par décision du président délégué du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ce qui nécessite l'amendement de l'article 22 du Dahir. Le CNDH rappelle à cet égard, que les expériences comparées, convergent, au delà de leur diversité, vers la consécration des règles visant à garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire dans la composition et l'organisation des juridictions militaires. Aussi, il est à signaler que plusieurs pays ont opté pour l'attribution des compétences liées à la gestion de la carrière des magistrats militaires aux conseils supérieurs du pouvoir judiciaire. En Espagne par exemple, une chambre militaire spécialisée est créée au Tribunal suprême (la plus haute juridiction dans l'organisation judiciaire espagnole) par la loi organique 4/1987 ; les magistrats militaires qui y siègent, et qui constituent la moitié de la composition de cette chambre, sont mis à la retraite de l'armée, ne peuvent plus la réintégrer et deviennent membres à part entière du Tribunal suprême. L'Italie a mis en place un Conseil de la magistrature militaire qui exerce, en vertu de la loi N° 561 du 30 décembre 1988 pour les magistrats militaires, les mêmes attributions que celles prévues pour le Conseil supérieur de la magistrature. D'autres expériences comparées ont mis en place un service de justice militaire occasionnel et compétent uniquement pour connaître des infractions disciplinaires commises par les membres des forces armées. C'est le cas du Royaume-Uni où les tribunaux militaires ne sont pas des tribunaux permanents. Un service de l'administration de la justice militaire, composé uniquement de civils, fait office de greffe et ne dépend pas de la chaîne de commandement militaire. Ce service est chargé, en cas d'infraction aux dispositions des Service Discipline Acts, de réunir le tribunal. Dans le même sens, l'Armed Forces Act du Royaume-Uni (1996) a consacré l'indépendance du parquet de la chaîne de commandement militaire. Le rôle du ministère de la Défense dans la supervision de certains aspects liés à l'administration de la justice militaire, dans certaines expériences comparées, est explicable par la compétence matérielle de ces juridictions qui est essentiellement disciplinaire. Ce qui explique, par exemple, le statut de l'auditeur en chef dans les juridictions militaires suisses, qui administre la justice militaire sous la surveillance du ministère de la défense. Dans d'autres pays, les effets présumés de la nomination des magistrats militaires par l'exécutif gouvernemental, sont compensés par des garanties statutaires dont bénéficient ces magistrats. A titre d'exemple, la nomination des magistrats militaires espagnols par le ministre de la Défense, est compensé par la garantie de leur inamovibilité et à la possibilité de prévenir le Conseil général du pouvoir judiciaire s'ils estiment être victimes de pressions. Le Conseil général du pouvoir judiciaire assure également la mission d'inspection de tous les organes de la justice militaire. L'Italie a opté quant à elle pour l'alignement de statut des magistrats militaires sur celui des magistrats ordinaires. La loi de 1981 précise que le statut des magistrats militaires et leur avancement sont régis par les dispositions en vigueur pour les magistrats ordinaires. Proposition relative à l'abrogation des condamnations aux travaux forcés Constatant que la condamnation aux travaux forcés ne figure plus parmi les peines prévues par le Code pénal, le CNDH propose d'abroger toutes les condamnations aux travaux forcés qui sont prévus aux articles 152, 154, 164, 169,171 et 172 du Dahir objet du présent mémorandum. Proposition concernant la compétence matérielle du tribunal militaire pendant les états exceptionnels Le CNDH considère les dispositions du premier paragraphe de l'article 213 du Dahir qui prévoit l'extension de la compétence matérielle du tribunal militaire qui « pourra être saisi, quels qu'en soient les auteurs, de tous les crimes on délits commis sur le territoire des provinces ou préfectures » déclarées militaires, comme portant un risque sérieux pour la garantie des libertés et des droits fondamentaux prévus par la constitution, et préservées même en état d'exception, en vertu de l'article 59 de la Constitution. Pour cette raison, le CNDH recommande l'abrogation de ce paragraphe.