Les Français mobilisés pour faire barrage à l'extrême droite ont plébiscité Jacques Chirac. Le Maroc accueille la réélection du président gaulliste avec satisfaction. L'étroitesse des liens entre la France et le Maroc et l'importance des intérêts communs expliquent cette attitude. «C'est une défaite cuisante de l'espérance française. Cela étant, nous sommes au-dessus de notre chiffre du premier tour» a déclaré le leader du Front national dimanche soir. Echec il y a en effet puisque Jean-Marie Le Pen avait affiché haut et fort qu'il pouvait dépasser les 30 %. C'était mal connaître les Français qui ont retrouvé ces dernières semaines un intérêt manifeste pour la vie politique de leur pays. Cependant, 18,04 % de suffrages accordés à un candidat extrémiste, c'est déjà bien assez. Si l'on prend le pourcentage de voix que M. Le Pen avait recueilli le 21 avril – 17,02 % - et celui de son semblable du Mouvement national républicain (MNR), Bruno Mégret – 2,36 % -, on constate un léger recul. Trop léger pour confirmer la thèse d'un vote contestataire ou «sanction» lors du premier passage aux urnes. Mais assez léger pour qualifier aujourd'hui le vote FN de vote de «conviction». Ce que Carl Lang, secrétaire général du parti, n'a pas manqué de souligner, saluant par la même occasion «ces millions de Français qui ont résisté à la campagne unanimiste de condamnation, de culpabilisation, de diabolisation de l'électorat Front national». Ces partisans de l'exclusion et de la xénophobie restent concentrés dans le Sud-est, notamment la région PACA (28,69 % dans le Var, 28,68 % dans les Alpes-maritimes, 29,64 % dans le Vaucluse). Le FN a aussi fait son lit dans le Nord-est (24,22% dans la Haute-Saône, 24,08 % dans les Ardennes). Ces régions traditionnellement sensibles au discours frontiste, ont confirmé ce dimanche leur penchant politique. Elles ne manqueront pas non plus de compliquer la tâche des élus - particulièrement ceux de droite - dès juin. «Je voudrais simplement dire à Jacques Chirac ce soir que la roche tarpéienne est près du capitole (NDLR : une grande victoire peut être suivie d'un échec), a ainsi rappelé M. Le Pen. Je me félicite en tout cas que le bloc national soit resté solide (…). Nous regardons l'avenir avec beaucoup de confiance et nous nous retrouverons aux élections législatives car dans les 81 % de Jacques Chirac combien y a-t-il de gens qui voteront RPR aux élections législatives ? C'est un autre problème». La gauche et l'extrême gauche ont en effet largement reporté leurs suffrages sur Jacques Chirac. Selon une étude effectuée par l'institut IPSOS, 82 % des électeurs ayant voté pour le socialiste Lionel Jospin au 1er tour se sont rabattu sur le président sortant. Seuls 10 % d'entre eux se sont abstenu. D'après cette étude, le report des voix des partisans de Robert Hue (PC, 77 %), Jean-Pierre Chevènement (Pôle républicain, 8 0%), Noël Mamère (Verts, 84 %) ou Christiane Taubira (PRG, 90 %) est aussi important que celui des électeurs de la droite. A l'extrême gauche, dont les trois candidats réunis avaient recueilli 10,5 % des suffrages le 21 avril, l'appel au barrage contre M. Le Pen a aussi été entendu. Tout comme la mobilisation générale pour se rendre aux urnes, seuls 19% des 41 millions de Français inscrits ayant boudé les urnes (contre 28 % au premier tour). Plébiscité par défaut, Jacques Chirac a d'ailleurs voulu rassurer les Français dès sa réélection. «J'ai entendu et compris votre appel pour que la République vive, pour que la Nation se rassemble, pour que la politique change» a-t-il déclaré dans la soirée de dimanche. «Dans les prochains jours, je mettrai en place un gouvernement de mission qui aura pour seule tâche de répondre à vos préoccupations et d'apporter des solutions à des problèmes qui ont trop longtemps été négligés», a-t-il ajouté, faisant allusion à la question sécuritaire. Conscient qu'il a été reconduit par beaucoup pour stopper l'extrême droite, Jacques Chirac a voulu rester modeste, à l'image d'une soirée marquée par le soulagement plus que par l'euphorie. Et dès lundi matin, le chef d'Etat est aussitôt passé à l'action. Lionel Jospin à peine démissionné, le président de la région Poitou-Charentes, Jean-Pierre Raffarin (DL), a été nommé premier ministre. La garde rapprochée du président réélu a commencé les préparatifs du scrutin législatif dont l'objectif est d'éviter une nouvelle cohabitation. L'ex-premier ministre Alain Juppé a ainsi appelé les électeurs à donner aux législatives «une majorité de gouvernement» au président. A la veille du Conseil national du PS, le porte-parole du parti Vincent Peillon a pour sa part annoncé que les discussions, entre les socialistes et leurs partenaires de la gauche plurielle, devraient aboutir à un accord. Des candidatures uniques ou des rassemblements sont ainsi prévus dans plus d'une centaine des 577 circonscriptions.