Le Dr. Abdelkader Tarfai, secrétaire général du syndicat de la Santé de l'UNTM, brosse un tableau sombre de la situation sanitaire dans les hôpitaux marocains. Pour lui, avant de parler d'augmentation de budget, il faut instaurer les règles de bonne gestion. ALM : Quelle est la situation actuelle dans les hôpitaux marocains? Abdelkader Tarfai : La situation est extrêmement préoccupante, voire catastrophique. En fait, il faut chercher un terme beaucoup plus fort pour illustrer l'état des hôpitaux marocains. L'absence d'une véritable politique de santé et surtout hospitalière est la raison de ce constat alarmant. En fait, la qualité d'un hôpital est mesurée à quatre facteurs, considérés comme de véritables piliers. Il s'agit des ressources humaines, des ressources financières, des locaux et équipements, ainsi que de la gestion. Malheureusement, dans les quatre cas, les hôpitaux marocains sont défaillants. Prenons point par point. Qu'en est-il de l'aspect des ressources humaines? Il y a un manque flagrant en personnel infirmier. C'est l'une des raisons de la médiocrité de la qualité des soins accordés aux citoyens. Je peux vous assurer que les chiffres de mortalité, notamment infantile et maternelle, sont en réalité plus élevés que ceux avancés par les officiels. Imaginez qu'un service de réanimation tourne avec la moitié du personnel nécessaire. On a souvent recours au croissant rouge et à l'entraide nationale pour combler nos manques. Le déficit de 9.000 infirmiers, avancé par le ministre de la santé, est à mon avis sous-dimensionné. A Témara, le ministère aggrave la situation puisqu'il est en train de construire trois nouveaux centres hospitaliers, tout en gardant le même effectif. Pensez-vous, à ce titre, que les ressources financières sont la cause de cette situation catastrophique? Je ne peux pas tout coller sur le dos des ressources financières. Le budget alloué à la santé est, certes, insuffisant, mais encore faut-il qu'il soit convenablement utilisé. En d'autres termes, tant qu'il y a de la mauvaise gestion dans nos hôpitaux, on ne peut pas exiger des fonds supplémentaires. Vous avez parlé des locaux et des équipements comme un des quatre piliers de l'efficacité hospitalière. Est-il aussi catastrophique que les autres? Effectivement. Figurez-vous qu'au lendemain de l'indépendance, le Maroc comptait 17.000 lits. Aujourd'hui, après environ cinquante ans, nous en sommes à 25.000 seulement. C'est dramatique. Pire. Le taux moyen d'occupation n'excède pas les 60%, car justement les hôpitaux n'ont pas les moyens pour travailler. Et paradoxalement, dans certains services, les rendez-vous sont étalés sur des mois. L'hôpital Ben Smim, près d'Azrou, est fermé depuis des années. C'est un ancien centre hospitalier complètement abandonné. Pourtant, il est carrément aussi grand que celui d'Ibn Sina de Rabat. Sa construction est même beaucoup plus solide que tous les nouveaux hôpitaux. A côté de cela, chaque jour il y a des constructions dans les hôpitaux existants. On construit, on élargit, on détruit à tout bout de champ. Sans aucun contrôle. Le but est d'ouvrir les vannes des dépenses.Pour ce qui est équipements, nous avons au Maroc, un grand problème de maintenance. Le ministère achète, généralement, du matériel performant et très cher. Mais à la moindre panne, c'est l'arrêt total. A Ibn Sina de Rabat, il n'y a plus d'artériographie depuis plus de dix ans. Même chose pour la scintigraphie arrêtée depuis des mois, à cause d'une panne. La situation est plus grave dans les hôpitaux périphériques et dans les laboratoires qui manquent affreusement de réactifs. En somme, on a l'impression que la santé au Maroc, c'est avant tout une question de gestion... En effet, il n'y a pas de critères de choix clairs et objectifs lors des nominations des responsables de gestion hospitalière, que ce soit au niveau central ou dans les services extérieurs. Pour ne rien vous cacher, les copinages et les relations de familles priment dans ce genre d'affaires. En outre, concernant les attributions des uns et des autres, il n'y a toujours pas de textes qui les réglementent. D'où des conflits entre, par exemple, le délégué et le médecin chef. Ceci sans parler des détournements et des gabegies quasi-quotidiennes dans les marchés publics, sans aucun contrôle d'opportunité de la part du ministère. Pour ce qui est des détournements, nous avons, à l'UNTM, plusieurs dossiers très suspects que nous avons soumis au ministère.