ALM : Qu'est-ce qu'un fantasme? Hachem Tyal : Un fantasme est un scénario de compromis entre un désir inconscient ou une pulsion et le réel. En ce sens, lors de la construction de la personnalité dans la sexualité, il y a un certain nombre de pulsions qui sont là, qui essaient de s'extérioriser. Et ces pulsions confrontées aux exigences de la réalité, elles vont être réprimées et cela va conduire le fantasme à être rejeté d'une certaine manière sous forme d'un scénario, d'une représentation ou d'une image qui va rester toujours intimement liée à cette charge libidinale de sorte que le fantasme va rester en stand- by en attendant le moment où il va pouvoir s'extérioriser. Pourquoi on fantasme ? Le fantasme, c'est le normal de l'humain. Quelqu'un qui ne fantasme pas a un problème. Le fantasme est à la sexualité ce qu'un vent ou un souffle est à la braise. Il permet de solliciter les énergies sexuelles et leur permet de se développer, de s'accroître à l'intérieur de l'individu pour permettre l'arrivée du plaisir. La qualité du plaisir dépend de la qualité du fantasme et de la place qu'il prend au moment du rapport sexuel. La masturbation est le meilleur moment où s'expriment les fantasmes. Il n'existe pas d'individu qui se masturbe sans fantasme. Cela montre à quel point le fantasme est important pour la réalisation de l'acte sexuel. Beaucoup de personnes qui ne fantasment pas peuvent avoir un orgasme anhédonique, c'est- à-dire sans plaisir. Par contre, quand le fantasme est très intense et que l'on s'approche de sa réalisation, l'énergie sexuelle est tellement importante que l'on peut être dans une explosion orgasmique qui est extrêmement intense. Par conséquent, le fantasme est important à la réalisation de la qualité de l'acte sexuel. Est-ce que les hommes fantasment davantage que les femmes? C'est une idée qui a longtemps existé et ce n'est que récemment que l'on a commencé à parler des fantasmes féminins. Le fantasme chez la femme est une donnée récente qui date des années 50 grâce à la publication d'un ouvrage. Ce qui a constitué une véritable révolution. Les femmes fantasment autant que les hommes. Elles sont beaucoup plus dans le mental alors que les hommes sont davantage dans le réel. L'homme est dans sa quéquette et la femme dans sa tête. L'homme, quand il est en érection, peut mettre son sexe n'importe où pour avoir son plaisir alors que la femme est dans «un tout mentalisé ». Selon vous, quels sont les fantasmes les plus répandus chez les hommes et chez les femmes? Les fantasmes masculins sont différents des fantasmes féminins. J'avais travaillé en France au sein d'une équipe qui avait fait des travaux à ce sujet. Ceux-ci avaient démontré que le fantasme le plus fréquent chez les hommes est la sodomie suivie de la fellation. Chez les femmes, le fantasme le plus répandu est le fait de faire l'amour avec quelqu'un d'autre que le partenaire. Beaucoup de femmes en faisant l'amour fantasment sur un autre homme, chose que les hommes n'aiment pas trop entendre. En seconde position, on retrouve le triolisme puis en troisième position, l'acte sexuel imposé. L'homme oblige la femme à faire l'amour dans un contexte particulier. Elle se sent comme violée sans l'être réellement. En quatrième position vient le fantasme de faire l'amour avec une autre femme. On retrouve aussi le fantasme de l'exhibitionnisme chez les femmes. Il faut noter que le contexte socioculturel n'influe pas sur le fantasme. Autrement dit, les fantasmes chez les Marocains sont similaires aux fantasmes des Occidentaux. La vie sexuelle est la même chez tout le monde. Pour ce qui est de l'échangisme, ce fantasme est peu fréquent parmi les fantasmes des Marocains. Bon nombre de personnes qui l'ont pratiqué ont eu des regrets par la suite. Faut-il passer à l'acte ? Le fantasme est quelque chose qu'il faut essayer d'atteindre sans l'atteindre. Le passage à l'acte n'a absolument rien à voir avec ce que l'on se représentait. Il y a des femmes qui lors de l'acte sexuel demandent à leur partenaire de leur faire comme s'il y avait quelqu'un d'autre avec eux ( un troisième partenaire). Si ce fantasme devait se réaliser, ce serait un scandale. Il y a une grande différence entre le fantasme tel qu'on l'imaginait et sa réalisation. Le fantasme est quelque chose que l'on recherche et que l'on ne réalise pas. Il faut chercher à le réaliser mais ne pas passer à l'acte. Le fantasme doit rester un scénario dont on cherche la réalisation. Le fantasme est par définition quelque chose qui n'est pas vraie. Le fantasme doit rester un scénario inconscient que l'on cherche à réaliser. Prenons le cas du fantasme de la sodomie. Quand on le réalise, l'homme est dans une situation de puissance alors que c'est quelque chose d'autre qui est dans son inconscient. La femme est dans la situation de l'esclave par rapport au maître. Ce n'est pas du plaisir purement sexuel. Si on est à la recherche de la sodomie sans la pratiquer, le plaisir est beaucoup plus intense. Où se situe la limite entre l'imaginaire et le passage à l'acte ? La limite est en fait la réalisation du fantasme. Et la réalisation du fantasme est différente de ce que l'on imaginait. Cela a toujours été le cas. Il n'y a pas de contre-exemple. Les gens qui réalisent leur fantasme cherchent souvent des variantes pour l'alimenter. Il faut s'abstenir de réaliser le fantasme mais plutôt le rechercher en faisant en sorte de poser la limite là ou il faut la poser pour ne pas être désillusionné. Est-ce que la pornographie nourrit le fantasme ? Chez les hommes, la pornographie nourrit effectivement le fantasme. Ils sont dans un processus identificatoire des acteurs de film pornographique qui ont d'énormes sexes avec lesquels ils honorent une quantité incommensurable de femmes. C'est un fantasme présent chez tous les hommes. Par contre, ce n'est pas le cas des femmes. A qui voulez-vous qu'elles s'identifient? Ces femmes objets qui n'existent que pour un sexe qui accepte tout, n'importe quoi et n'importe comment.