Tout semble dire que l'âge d'or des salles de cinéma, ces espaces d'art et d'initiation au savoir-vivre, est révolu. Aux années quatre-vingt-dix, le Maroc comptait quelque 357 salles de cinéma et les recettes de guichet atteignaient 50 millions DH par an aux années quatre-vingt, selon des chiffres délivrés par la Chambre marocaine des exploitants des salles de cinéma. Les dernières statistiques du Centre cinématographique marocain (CCM) montrent que le nombre des salles obscures régresse constamment. Il est passé de 124 en 2006 à 104 salles à 2007. Nombre comprenant les 23 salles des multiplexes «Megarama» de Marrakech et Casablanca. Les ventes des billets d'entrée sont passées de 3.854.942 entrées en 2006, à 3.376.452 en 2007. Qu'est-ce qui explique donc cette situation lamentable particulière au Maroc? Selon les professionnelles, le nombre réel de salles obscures dignes de ce nom, c'est-à-dire celles qui respectent les normes de projection en termes de qualité d'image, de son et de confort, ne dépasse pas la quarantaine dans tout le pays. Un gérant d'une salle de cinéma de Fès, ouverte en 1963, se dit aujourd'hui incapable d'honorer les salaires de ses employés du fait que les revenus hebdomadaires de cette salle ne dépassent guère 2000 DH ces temps-ci, après avoir atteint 40 000 DH en 1991. Ce recul de l'affluence des spectateurs sur les salles de cinéma est également confirmé au niveau des grandes salles du septième art de Casablanca, Marrakech, Tanger, Rabat, Tétouan, Salé et Kénitra. Ainsi plusieurs faits ont contribué à cette situation désastreuse. Les Marocains n'aimeraient-il donc plus le cinéma? Certains imputent cela à une certaine négligence observée quant à l'entretien et pour l'équipement des salles, ainsi qu'une orientation des revenus des salles vers d'autres projets qui n'ont rien à voir avec le domaine cinématographique. «La principale cause de cette crise de cinéma marocain est le piratage. Les quelques salles de cinéma qui existent encore sont menacées d'une faillite certaine en l'absence d'une intervention urgente et une réelle volonté politique», indique Abdelhamid Marrakchi, président de la Chambre des distributeurs de films au Maroc et propriétaire de plusieurs salles de cinéma. Selon lui, la Chambre marocaine des salles de cinéma a tiré, à maintes reprises, la sonnette d'alarme sur cette crise engendrée par le piratage des films vendus dans les marchés noirs à des prix dérisoires. «Les rapports et les doléances pour rendre compte et remédier à cette situation on été envoyé par milliers à plusieurs ministères. Mais le seul ministère capable de mettre fin au piratage est le département de l'intérieur», précise-t-il. Par ailleurs, certains imputent cette situation à une production nationale jugée timide et incapable d'attirer le spectateur, laissant le champ libre à l'invasion des films étrangers dont certains traitent des sujets contraires à la morale et aux mœurs. Le comportement des consommateurs également intervient : «Les gens dévorent des films projetés sur les différentes chaînes satellitaires. Mais aussi en CD-R ou DVD-R : des centaines de milliers de ces supports circulent quotidiennement sur le marché marocain, d'une façon légale ou illégale», indique Youssef, un jeune cinéphile. «Mais rien ne vaut la projetion d'un film sur grand écran et les sensations fortes que cela procure. Ainsi je regarde chaque semaine un film dans le cinéma et ce pour bénéficier du confort et de la qualité des images du grand écran», ajoute-t-il. Ainsi en l'absence de mesures fermes de la part des autorités compétentes pour sauver les salles de cinéma de l'oubli et de la destruction notamment, concernant la lutte contre le piratage ou la diminution de taxe à l'encontre des exploitants, ce sont la société civile et le citoyen qui agissent timidement. Notons dans ce sens que l'association «Sauvons les salles de cinéma au Maroc» a été créée en novembre 2007 lors de la septième édition du Festival international du film de Marrakech. Par ailleurs, le spectateur devrait lui aussi être au centre de la revivification des salles obscures notamment avec des programmes de sensibilisation et de revalorisation de ces espaces d'art et vecteurs régionaux de culture.