Tarik Mounim, président de l'Association «Sauvons les Salles de Cinéma au Maroc/Save Cinemas In Marocco», nous dévoile les enjeux de la négligence envers le patrimoine cinématographique marocain. - Finances News Hebdo : Le Maroc a connu, cette dernière décennie, une situation alarmante avec la disparition des salles de cinéma. A votre avis, quelles sont les principales causes de cet effondrement ? - Tarik Mounim : Le processus de fermeture des salles de cinéma au Maroc s'est accéléré dès le début des années 2000. Une cause essentiellement liée à l'émergence et la hausse exponentielle du phénomène du piratage. Avec une multiplication des réseaux de distribution illicites de vente de CD piratés. Essayons de comprendre ce phénomène. Il est clair que certaines personnes du gouvernement ont lié ce réseau illicite à une alternative pour la création d'emplois. On se souvient de certains discours qui disaient à cette époque que le piratage faisait vivre des millions de personnes. Une phrase qui a été interprétée très rapidement par les gens comme une certaine légalisation non officielle de cette activité alternative qui, il faut le savoir, génère des millions de dirhams qui ne vont pas dans les caisses de l'Etat et qui échappent à toute TVA et à toutes contributions pour le développement de l'économie et de l'industrie cinématographique. - F.N.H : Parlez-nous de l'Association «Save Cinemas In Marocco» que vous présidez ? Dans quel but a-t-elle été créée? - T.M. : L'Association «Save Cinemas In Marocco» a été créée en 2007 lors de la 7ème édition du Festival International du Film de Marrakech. Elle est née suite au constat de la désaffection et la fermeture constante des cinémas qui sont menacés de disparition. On compte plus ou moins 37 cinémas en activité en 2011. Il fallait fédérer les professionnels autour de cette problématique et, bien sûr, sensibiliser l'opinion publique. Il est question de la sauvegarde du patrimoine culturel, de notre identité culturelle et de notre mémoire collective. Le cinéma a façonné des générations. C'est une ouverture vers le monde et un miroir qui reflète les créations de nos cinéastes, des réalités développées. Elle suscite le débat, la réflexion et l'éveil sur le monde dans lequel nous vivons. - F.N.H : Quels sont les projets de cette association ? - T.M. : Nous envisageons une tournée à travers les écoles privées et publiques du Royaume. Nous effectuons actuellement un cours de Save Cinemas In Marocco, un Ciné Tour à HEM où nous organisons une conférence-débat sur l'avenir de la culture cinématographique au Maroc. Une exposition d'archives pour mieux comprendre l'évolution des salles de cinéma au Maroc avec des photos, des parutions presse et affiches de films. Un questionnaire sera présenté aux jeunes en matière de culture et en particulier de cinéma. Cette étude fera l'objet d'un rapport. Sur notre feuille de route 2011, nous avons également pour projet la concrétisation de la réhabilitation du premier cinéma de Marrakech, l'Eden, en un lieu pluriculturel, ceci en partenariat avec la Ville de Marrakech. Nous sommes à la recherche de fonds et de partenaires nationaux. - F.N.H : À votre avis, comment l'Etat peut-il contribuer à sauver le patrimoine culturel cinématographique marocain ? - T.M. : L'Etat a les outils et les moyens. Nous avons une connaissance du terrain et nous avons des idées en tant que société civile citoyenne et consciente de l'importance de la sauvegarde de ce patrimoine, et c'est ensemble que nous devons agir. Des professionnels impliqués, tels que Marrakchi, président de la Chambre Marocaine des Salles de Cinéma, connaissent et subissent le fléau du piratage mais c'est toute la chaîne de l'industrie cinématographique qui en subit les conséquences. Ce réseau parallèle doit être contrôlé et régularisé de manière constructive. Nous ne sommes pas partisans d'une réponse directe telle que la sanction… Mais il s'agit plutôt d'informer le public de l'impact du piratage sur l'art et la culture. Il s'agit aussi d'accompagner ces populations qui vivent du piratage et de la vente à la sauvette dans les coins de rue, vers une intégration sociale et professionnelle, afin que ces derniers soient reconnus légalement dans notre société. Parallèlement, il faut réhabiliter et encourager la rénovation de nos espaces culturels cinématographiques, aider financièrement cette rénovation avec de vrais moyens. - F.N.H : Quelles seraient alors les mesures à prendre pour mettre fin à ce désastre ? - T.M. : De manière immédiate, il faut protéger et interdire la destruction des salles en refusant les autorisations de destruction. Et en même temps, classer ces salles au patrimoine historique marocain. Les collectivités locales peuvent empêcher ces destructions et ensuite étudier le ou les projets possibles de réhabilitation. Il ne s'agit pas simplement de pénaliser le propriétaire, mais de l'impliquer dans un projet qui pourrait lui être bénéfique, tout en offrant la possibilité à la collectivité locale de développer son offre en terme d'espace culturel. - F.N.H : Les Marocains vont de moins en moins au cinéma ; est-ce que ce changement de comportement est dû à la prééminence des technologies, notamment la télévision, l'Internet, le piratage ; ou est-ce plutôt dû à la qualité des films projetés dans les salles ? - T.M. : Le Marocain aime le cinéma vu le nombre de DVD piratés qu'il achète dans la rue, ou tout simplement télécharge sur Internet. Si tel n'était pas le cas, le marché du piratage n'aurait jamais connu une telle expansion. De là à penser que le piratage et les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont pu apporter le coup fatal au cinéma, ce n'est pas évident. C'est une situation plus complexe que connaît le cinéma au Maroc. Dans les pays qui enregistrent des taux record de fréquentation de salles, peut-on dire que l'Internet, le téléchargement et les DVD piratés n'existent pas ? Il est évident que non. Et pourtant, le cinéma se porte bien. Il ne s'agit pas des nouvelles technologies en tant que telles, que de l'utilisation que l'on veut bien en faire. Et, partant de là, les devoirs et les obligations des citoyens doivent être définis clairement et surtout connus par tous. - F.N.H : Votre point de vue sur l'avenir du cinéma marocain ? - T.M. : Si la production nationale de films ne trouve pas de lieu pour être programmée dans des conditions de confort minimales, et si le public marocain n'a pas l'occasion de voir ces films dans les salles, comment le cinéma pourra-t-il survivre ? Un film n'existe que parce qu'il est vu, le succès d'un film n'existe que par le nombre d'entrées qu'il a comptabilisées. Il n'y aurait donc plus aucun moyen de mesurer le succès d'un film. Quelle valeur pourra-t-on donner à notre cinéma ? Que pourra transmettre le cinéma au public ? De là découle la question : quel avenir pour quel cinéma ?