ALM : Vous avez été invité à la seconde édition du Festival de la culture soufie de Fès. Votre Slam a-t-il donc un caractère mystique et s'inspire-t-il des valeurs du soufisme ? Abd Al Malik : Certainement. A travers ma poésie, je déclame l'amour et le partage des valeurs enracinées dans la philosophie soufie. La communication dans la paix et entre les peuples devient aujourd'hui une nécessité et une urgence. Le dialogue doit se faire loin des idéologies et politiques manipulées ou manipulatrices. On doit arrêter de mélanger politique et religion. On doit engager le grand combat de l'amour et de la fraternité entre les hommes. La politique doit servir à unir et rapprocher les nations et non à les séparer. Etes-vous pour la laïcité ? Absolument. Dans la société nous existons en tant que citoyens, militants et responsables. La spiritualité est personnelle, c'est quelque chose qui nous nourrit intérieurement, nous met en harmonie avec nous-mêmes, avec l'univers et avec les autres. Je suis musulman, mais avant tout, un être humain. Vous êtes slameur. Comment définissez-vous le genre slam ? C'est de la poésie déclamée, souvent sans fond musical. C'est l'art de la performance poétique. Il s'agit d'une poésie puisée dans le quotidien et l'actualité. L'accent est mis sur le slameur qui, grâce à la force des mots, des images et métaphores, sort le spectateur de sa léthargie, l'invite à réfléchir. Le slam démocratise la parole et abolit les frontières cloisonnant les nationalités, les styles, les genres, les poètes de la rue et les poètes «académiques». Il est musique de part les rythmes, sonorités et intonations des poètes. Les mots sont vivants. Les impressions et sensations que crée le poète, deviennent messages à part entière. C'est le fleuve de mots déchaînés qui dénoncent la violence et l'injustice. Le flot de paroles qui chante la paix, l'amour, le dialogue, l'entraide, le partage, la tolérance…Le slam est le lieu où évolue la liberté d'expression. Vous êtes né en France, de racines et d'origine congolaises, converti en Islam à l'âge de 16 ans et disciple depuis 1999 du maître spirituel marocain Sidi Hamza Al Qadiri Boutchichi. Une diversité et un cheminement spirituel qui semble faire votre force. Tout à fait. C'est au Maroc que je découvre l'universalité de l'Islam. C'est avec mon illustre maître Sidi Hamza Al Qadiri Boutchichi que je découvre l'Islam des lumières, celui d'Ibn Arabi… La notion de cheminement spirituel fait partie de ma vie. Ma démarche consiste à pacifier mon rapport d'abord avec moi-même et ensuite avec mes semblables. Je suis musulman et mon rapport avec la spiritualité me facilite le rapport avec les autres. Nous faisons tous partie de la grande famille humaine. Ma rencontre avec mon maître m'apprend qu'on a tous une responsabilité envers nous-mêmes et envers les autres. La responsabilité devient énorme lorsqu'on est mis en lumière ? Parfaitement. Nous devons agir en conséquences. Chercher la voie qui nous élèvera au rang de l'être, pleinement humain. Que vous apprend et apporte l'Islam ? Dans le Coran, il est dit que les êtres sont nés différents et qu'il leur fallait chercher à s'entre connaître et vivre en paix. La diversité est un cadeau. Il faut chercher ce qui nous unit et non ce qui nous sépare. L'Islam m'apprend à respecter les valeurs qui font de nous les êtres humains que nous sommes censés être. Il s'agit de respecter l'environnement, d'être en paix avec soi et avec les autres. On ne peut pas parler de spiritualité sans avoir de respect pour la nature. Ma quête de l'Islam a totalement bouleversé ma vie. Avant de venir au Maroc, j'étais musulman, mais mon rapport à l'Islam s'imprégnait d'une vision extrémiste. Je ne voyais que la partie émergée de l'iceberg. Je n'arrêtais pas de dire que c'est la faute de la société, des autres, mais jamais la mienne. C'est au Maroc que j'ai appris à accepter l'autre dans sa différence et de sentir que je suis responsable. C'est une religion de paix, de respect et de beauté. Le Maroc est pareil à cet arbre enraciné dans ses traditions et son passé et dont les branches s'élèvent vers l'avenir. Une harmonieuse rencontre entre tradition et modernité. J'ai appris à aimer les êtres. Je suis le fils de l'instant et je vais là où mon cœur m'emporte. Vous dénoncez à travers votre slam, la guerre en Irak, le 11 septembre, les attentats en Espagne… Toutes ces guerres sont une pure aberrance. Ces innocents tués par milliers, ce sang qui n'arrête pas de couler. Vous parlez de déconstruire en trois « D », en faisant allusion à trois philosophes de la déconstruction; Derrida, Deleuze et Dubray. Qu'est-ce qui vous séduit dans cette philosophie ? Ce sont l'acte et la démarche qui consistent à déconstruire pour construire. Tous les musulmans ne sont pas des Ben Laden. Il faut arrêter de mélanger politique et religion.
Et si on faisait un petit slam.Volontiers. Sur le détroit de Gibraltar y'a un jeune noir qui prend vie, qui chante, dit enfin « je t'aime » à cette vie. Puis les autres le sentent, le suivent, ils veulent être or puisqu'ils sont cuivre. Comme ce soleil qui danse, ils veulent se gorger d'étoiles, et déchirer à leur tour cette peur qui les voile. Sur le détroit de Gibraltar, y'a un jeune noir qui n'est plus esclave, qui crie comme les braves, même la mort n'est plus entrave. Il appelle au courage celles et ceux qui n'ont plus confiance, il dit : «ramons tous à la même cadence !».