Face à la mort, les médecins doivent trouver les remèdes palliatifs pour soulager les souffrances et accompagner les malades incurables et sujets à la douleur, jusqu'au stade final. Dr Siham El Jai, anesthésiste, réanimatrice, a choisi de se spécialiser dans ce domaine après avoir été confrontée pendant plusieurs années à des patients atteints de maladies incurables… Un témoignage poignant dans un domaine où le médecin devra faire preuve de savoir-faire mais également de savoir-être.
ALM : Pourriez-vous vous présenter brièvement Dr El Jai ?
Dr. Siham El Jai : Médecin anesthésiste, réanimatrice, j'ai été responsable de l'unité mobile douleurs et soins palliatifs à l'Institut national d'oncologie. Actuellement, je suis installée en cabinet privé, spécialisé dans la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs et de l'hospitalisation à domicile.
Qu'est-ce qui vous a amenée à orienter vos efforts dans l'accompagnement des personnes en phase terminale? En fait c'est au cours des années passées à l'Institut national d'oncologie que s'est imposée à moi l'évidence de cette démarche éthique orientée sur la qualité de vie de la personne atteinte d'une maladie incurable. Et/ou qui arrive au terme de sa vie. Je me suis spontanément bien retrouvée dans cette pratique soignante où j'ai approfondi la dimension relationnelle du soin.
Quelles sont les personnes que vous ciblez précisément? Les soins palliatifs ou soins de support sont des soins actifs et continus. Ils visent à soulager la douleur et à apaiser la souffrance psychique, à traiter les symptômes d'inconfort, à sauvegarder la dignité de la personne et à soutenir son entourage. Ces soins ne sont donc pas exclusivement réservés aux personnes en fin de vie mais peuvent être dispensés en amont à des personnes en cours de traitement, à des malades cliniques, à des personnes en situation de handicap, à des personnes âgées et dépendantes. Cette démarche regroupe en fait l'ensemble des soins et soutiens nécessaires aux patients et ce, tout au long de leur maladie.
Que pouvez-vous leur apporter concrètement puisque ces personnes souffrent déjà ? Il s'agit d'apporter un projet de soins visant à assurer la meilleure qualité de vie possible aux patients sur les plans physique, psychologique, et social en prenant compte de la diversité de leurs besoins, ceux de leur entourage, et ce quel que soit le lieu de soins au cabinet, en institution ou à domicile.
Les familles sont généralement présentes au Maroc pour accompagner les personnes en phase terminale. Quel est le plus que vous leur apportez en tant que médecin ? Les familles accompagnent leurs proches sur le plan affectif mais ne peuvent se substituer à un corps de santé. L'intervention du médecin, spécialiste en soins palliatifs ou soins de support, permet de soulager le patient et sa famille. En fait, la principale méconnaissance réside dans la distinction entre phase palliative initiale et terminale. De là découle la difficulté pour médecin de faire connaître son rôle à une phase plus précoce de la maladie. Donc le gain de temps sur la vie est vide de sens s'il est vécu par la famille dans l'angoisse de l'aggravation de la maladie avec persistance des douleurs non prises en charge et des symptômes d'inconfort non traités. La qualité de la survie devient aujourd'hui essentielle et pas uniquement dans les derniers jours de vie.
Vous êtes plus focalisée sur la douleur du patient et les soins support mais comment gérez-vous l'aspect confrontation avec la mort ? Le vécu d'un deuil est une chose très personnelle et difficilement transposable à un modèle général. Face à la mort, le sentiment d'impuissance domine. Une attitude marquée par l'écoute, la patience et la compréhension peut déjà aider la personne.
Ce domaine frôle avec le spirituel je dirais... Vous reconnaissez-vous docteur des prédispositions dans ce domaine pour justement accompagner les malades à accepter leur sort ? L'approche de la mort, de ce temps de mourir, les heures qui suivent le décès et l'attention que nous portons encore aux patients et à leurs corps et parfois aux rituels (ndlr: chahada) dont ils ont besoin me touchent particulièrement. En tant que médecin spécialisé en soins palliatifs, je suis régulièrement confrontée à mes connaissances et croyances sur le plan psychologique, religieux et spirituel. Le soutien apporté au patient exige d'exprimer le côté humain et c'est donc un savoir être qui est sollicité et non plus un savoir-faire. Aborder le sujet des croyances religieuses et spirituelles est utile car la croyance dans un au-delà est réconfortante. Il s'agit donc de transmettre confiance et espoir que cela pourra aller mieux dans ce cheminement. Une représentation de la bonne mort serait une mort sans douleur et dans la dignité, ce qui renvoie aux fondements des soins palliatifs.
Comment faites-vous pour vous protéger vous-même psychologiquement? Comment en effet ne pas se laisser envahir par le fait de vivre au quotidien auprès de tant de souffrance sans en être imprégnée, sans en souffrir soi-même ? Lorsque nous avons vécu des moments émotionnellement forts et pénibles, il est urgent de partager nos expériences difficiles avec des collègues ou amis. Cela peut aider à nous remettre d'une prise en charge éprouvante. Il me faut souligner que des liens forts se tissent avec les malades et leur famille. La mort de l'autre et tout ce qui l'accompagne, la souffrance, la douleur, le corps qui s'abîme, nous renvoient au fait que nous aussi un jour aurons incontestablement à vivre la fin de notre propre vie.
Quelles sont vos recommandations dans ce domaine ? Le médecin en soins palliatifs, quel que soit son lieu d'exercice, doit avoir le souci de la prise en charge globale du patient, de sa famille et de l'environnement. Il doit avoir une sensibilité pour aborder la question de la mort et se sentir à l'aise pour en parler sereinement. Une information au public sur les soins palliatifs et leur possibilité de dispensation à domicile pourrait faciliter leur accès pour tous les patients qui en ont besoin.