Tout récemment, Nicolas Sarkozy a décidé de débloquer 230 millions d'euros pour développer davantage les soins palliatifs en France. Au Maroc, le 1er centre national de traitement de la douleur et des soins palliatifs tarde à démarrer. C'est pourtant la Princesse Lalla Salma en personne qui a posé la 1ère pierre de ce centre, il y a déjà maintenant 2 ans et demi de cela. Chacun sait qu'il lui faudra mourir un jour. Chacun sait qu'il aura à accompagner un proche, qu'il lui faudra vivre la douleur de la séparation soit parce qu'il partira le premier, soit parce que d'autres partiront avant lui. Dès que nous pensons à cette réalité inéluctable qui nous concerne tous, nous nous demandons dans quelles conditions nous vivrons cette dernière étape de notre vie. Où? Quand ? Comment ? A la maison ? A l'hôpital? Seuls ou entourés de ceux que nous aimons ? Bien ou mal soignés ? Dans le respect de nos besoins ou, au contraire, dans la solitude et l'indifférence? Toutes ces questions nous viennent à l'esprit, à moins que nous ne chassions la pensée de la mort, que nous ne la mettions de côté pour y repenser plus tard. Mais, un jour ou l'autre, quelqu'un meurt dans notre entourage, un proche ou un moins proche. Nous sommes alors témoins d'un mourir qui se déroule dans de plus ou moins bonnes conditions. Cela nous donne à réfléchir. Parfois, cela se passe mal. La personne est morte dans des souffrances qui n'ont pas été soulagées. Ou bien elle est morte seule, sur un brancard, aux urgences. Ou encore attachée dans un lit, avec des tuyaux partout, en réanimation. Parfois, nous avons essayé d'accompagner cette personne dans le service dans lequel elle était hospitalisée, mais nous n'avons pas été accueillis, ou mal. On ne nous a pas informés. Nous n'avons pas réussi à rencontrer le médecin responsable, à parler avec lui. Nous nous sommes sentis de trop. Personne n'a su nous écouter, nous aider, entendre notre peine. On nous a prévenus, par un coup de téléphone, de venir rapidement. La personne s'était déjà éteinte, et nous sommes restés frustrés, blessés de n'avoir pas été prévenus à temps. Parfois, le corps a déjà été descendu à la morgue, et nous n'avons pas pu assister, ne serait-ce que quelques instants, la personne qui venait de mourir. Les circonstances de la mort sont parfois si pénibles, si éprouvantes, qu'on se dit : «Plus jamais ça !» et l'on rêve d'une mort rapide, indolore, discrète. Pourtant, on peut assister un mourant, l'aider à mourir en paix, sans souffrance. Nous en sommes témoins depuis quinze ans. Notre modeste équipe montre tous les jours que c'est possible. On peut terminer ses jours en s'éteignant doucement, tranquillement, soulagé de ses douleurs, entouré des siens, dans un climat de paix et de tendresse. Une mort humaine et digne est possible. Il faut que les Marocains le sachent. Beaucoup des personnes qui ont accompagné la fin de vie d'un proche se plaignent de la façon dont la douleur a été prise en charge. Elles regrettent aussi le peu d'implication du personnel médical et infirmier dans le soutien psychologique de leur proche. Une mort humaine et digne est possible Manque de disponibilité, distance qui donne le sentiment d'être traité comme un organe et non comme une personne, brutalité d'annonce du diagnostic, maladresse, manque de compassion, méfiance à l'égard d'un corps médical et soignant que l'on sent démuni et mal à l'aise devant la mort, voilà les mots qui reviennent quand les gens racontent leur expérience auprès d'une personne en fin de vie. On voudrait plus d'écoute, plus d'humanité. On a donc, au Maroc, une vision très négative de la prise en charge de la fin de vie : la douleur n'est que rarement soulagée et l'hôpital n'est pas adéquat, alors même qu'il semble inévitable. Les médecins ne sont pas assez disponibles ou formés. Si l'on meurt si mal aujourd'hui dans la plupart de nos institutions, c'est en grande partie parce que les professionnels de santé ne sont pas formés au soulagement des douleurs et à l'accompagnement des fins de vie. C'est par la formation initiale et continue du corps médical et soignant que l'on parviendra progressivement à accepter la fin de vie comme une étape inéluctable qu'il convient d'accompagner avec humanité. Malaise des médecins Nos facultés forment des médecins, mais la pauvreté de la formation à la relation humaine, à l'écoute, au dialogue avec le malade est proprement inacceptable. Ainsi la sélection en début d'études se fait uniquement sur des critères scientifiques et non pas sur l'intérêt du futur médecin pour la relation avec les malades, sur sa capacité à faire face à la souffrance et à la mort. Comment s'étonner alors du malaise qu'éprouvent la plupart des médecins le jour où ils sont confrontés à la mort d'un patient ? Un sentiment d'échec et d'impuissance les pousse à fuir les malades en fin de vie ou à s'engager dans une poursuite déraisonnable des investigations et des traitements. Il y a là une incohérence que nous souhaitons souligner : alors que la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs sont considérés comme une priorité de santé publique depuis avril 2003, les soignants ne reçoivent pas la formation initiale qui leur permettrait d'assurer cette mission de soulagement et d'accompagnement qui fait partie des missions de soins. Il n'y a pas de formation spécifique et obligatoire à la prise en charge de la douleur et de la personne en fin de vie. Les soignants souffrent du sentiment de ne pas être humainement à la hauteur des besoins des patients en fin de vie et de leurs familles. Ils manquent de repères, d'une échelle des valeurs, ou de la possibilité de penser leur pratique. Ce désarroi et cette solitude des professionnels de santé rejoignent finalement le désarroi de la société dans son ensemble. Peur, déni, solitude, c'est bien là l'état des lieux de notre société marocaine face à la mort et au mourir. Améliorer les conditions de la naissance Toutes ces considérations plaident, en définitive, pour que la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs soient enseignés aux étudiants comme une discipline nouvelle, celle du mourir. Ce faisant, elle deviendrait comme le «chaînon manquant» de la médecine, enfin retrouvé. Celle-ci, en effet, s'est jusqu'ici admirablement employée à guérir, à améliorer les conditions de la naissance. Ne fallait-il pas aussi qu'elle en vienne à s'occuper des conditions de la mort ? La réflexion sur la nécessité d'un plan national sur la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs est devenue incontournable. Il nous faut penser à des propositions d'actions à engager pour améliorer les pratiques de soins et sensibiliser la population dans son ensemble au devoir d'humanité qui est le sien, pour que où l'on meurt, chacun puisse trouver les mots et les gestes qui humanisent la fin de vie, et que personne ne soit laissé à l'abandon. Un Centre National de Lutte contre la Douleur et des Soins Palliatifs est construit à l'Institut National d'Oncologie de Rabat, mais il tarde à ouvrir ses portes par manque de ressources humaines. La direction du CHU de Rabat et le ministère de la Santé devraient trouver une solution urgente pour affecter des médecins et des paramédicaux.