Tout a commencé dans la journée du 14 juin où deux jeunes femmes ont pris la décision d'aller faire leurs achats au souk d'Inzegane. Une sortie qui tournera en séance de lynchage public, de lapidation et d'agressions verbale et physique. Les deux victimes se retrouveront dans la même journée sur le banc des accusés. Leur crime : porter des robes jugées indécentes. La meute qui a encerclé les filles s'est substituée aux lois en vigueur et a dressé sur la scène publique un tribunal d'inquisition. Apeurées, choquées, la seule issue a été de s'abriter dans une boutique de vente de produits cosmétiques appelant des policiers au secours. Nous sommes bien au Maroc où des citoyens et citoyennes vivent dans le respect de la pluralité des choix de leurs aspects vestimentaires, depuis de longues décennies. Temps d'attente, temps d'espoir et de désespoir aussi avant l'arrivée des policiers. Et le temps du salut tant attendu deviendra à son tour une longue nuit passée au commissariat d'Inzegane pour «attentat à la pudeur» avant d'être conduites devant le procureur du Roi le lendemain. Pour sortir de ce bourbier les deux jeunes dames ont été habillées de deux robes ramenées par l'un des marchands. Aucun des marchands ni des agresseurs n'a été interpellé. Seules Sihame et Soumia se retrouveront sur le banc des accusés. Sihame a 23 ans et Soumia 19 ans et au casier judiciaire vierge. Le procès-verbal des policiers du commissariat d'Inzegane dans sa description des faits parle de l'arrestation de deux accusées presque nues, serrées dans des habits moulants et dessinant leurs corps. Ce qui a suscité l'excitation des lyncheurs, ajoutant que les deux jeunes femmes sont sorties ainsi avec préméditation pour attirer les hommes. «Ces robes se vendent dans nos boutiques et marchés et nous étions habillées normalement. Dans un premier temps nous avons été harcelées par un vendeur pour qu'on lui donne nos numéros de téléphone», soulignent indignées les deux jeunes femmes. Le procès-verbal rapporte également que Siham et Soumia ont été arrêtées en flagrant délit et que la horde les a encerclées pour les empêcher de s'échapper. Selon le même procès-verbal leurs parents ont été informés alors que l'identité de la personne contactée et la manière n'ont pas été mentionnées. L'attentat public à la pudeur retenu comme chef d'accusation est l'article 483. Dans les couloirs du tribunal d'Inzegane les deux jeunes femmes seront poursuivies en état de liberté. L'audience est programmée pour le 6 juillet. Un tournant dans l'histoire puisque sur le procès-verbal du procureur du Roi, dans nous détenons une copie, on retient pour chefs d'accusation l'article 485 du code pénal qui renvoie aux affaires de viol : «Est puni de la réclusion de cinq à dix ans tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences contre des personnes de l'un ou de l'autre sexe». Les deux jeunes femmes auraient-elles violé les marchands d'Inzegane ? Ou est-ce une erreur ? «Les policiers ont suivi dans cette affaire les sifflements et cris de la meute sans ouvrir une enquête vu que des personnes se sont permis de dépasser les lois et institutions de ce pays pour imposer leurs propres lois sur un espace public et c'est une atteinte aux libertés et à la sécurité des citoyennes et citoyens de ce pays. La loi ne répond pas aux désirs et instincts des individus», explique l'avocat Mohamed Al Ghassouli, ajoutant que «l'article de l'attentat à la pudeur est très vague et peut être utilisé pour porter atteinte aux libertés individuelles». «La poursuite des deux jeunes femmes par l'article 485 au lieu de l'article 483 souligne que cette poursuite est complétement aberrante et nous nous demandons si ce n'est pas fait pour faire tomber cette poursuite anormale», questionne l'avocat. D'autres éléments s'ajoutent à ce dossier comme vice de forme. «Les affaires de viol ne sont pas des attributions du procureur du Roi mais du parquet général. Et c'est une grave violation des lois en vigueur. L'article 485 renvoie à un crime et non à un délit et le dossier est dans ce cas du ressort de la Cour d'appel et non du tribunal de première instance», nous déclare Mohamed El Ghassouli. L'affaire relayée par les réseaux sociaux et les médias a fait un tollé. Une grande mobilisation a été enregistrée pour s'indigner contre cette atteinte flagrante à la liberté des femmes, le harcèlement sexuel, la sécurité dans l'espace public et la non-arrestation des agresseurs-prêcheurs voulant faire prévaloir leurs propres lois. Plusieurs sit-in ont eu lieu dans différentes villes marocaines portant le slogan et hashtag «Mettre une robe n'est pas un crime !». La mobilisation se poursuit. Les associations féminines et de droits humains, notamment le Conseil national des droits de l'Homme et l'Association marocaine des droits humains se joignent à la vague d'indignation suscitée par cette arrestation. Des avocats des barreaux de plusieurs villes se portent volontaires pour défendre Soumia et Siham. Un sit-in est programmé le jour de l'audience, la matinée du 6 juillet, devant le tribunal de première instance d'Inzegane. Notons qu'un rassemblement est prévu devant l'ambassade du Maroc à Paris l'après-midi du 4 juillet pour soutenir les deux jeunes femmes. Il est à souligner que le lynchage des femmes est devenu monnaie courante dans ce souk. Une deuxième jeune femme a reçu des jets de tomates au début du mois de Ramadan en faisant ses achats. «Le vendeur des oranges m'a expliqué qu'ils m'ont lancé des tomates alors que j'avais le dos tourné prétextant que je n'avais pas les vêtements appropriés alors que j'étais normalement habillée. J'ai fini par laisser tomber mes achats et rentrer chez moi», souligne la femme.